Il faut se rendre à l’évidence. C’en est fini du bipartisme français qui gérait tant bien que mal notre vie politique depuis plus d’un demi-siècle. Ennemi des partis qui avaient conduit la France au désastre à deux reprises, en 40 et en 58, de Gaulle avait instauré un système où la droite et la gauche étaient obligées, chacune de son côté, de se rassembler. Pendant des années, nous avons donc eu l’UDR, puis le RPR, puis l’UMP (avec la parenthèse de l’UDF) à droite, en face du PS, à gauche. Les choses étaient claires et les crises ministérielles en cascade de la IVème avaient été remplacées par le jeu de l’alternance à dates fixes de la Vème. La République ne s’en portait que mieux.

Mais l’usure du temps, la médiocrité des hommes, l’apparition d’un troisième larron, le Front National, et une crise dévastatrice que droite et gauche se montraient tout aussi incapables de juguler finirent par faire éclater cette belle construction, un peu contre-nature il faut en convenir.

Aujourd’hui, il est évident que nous avons, au moins, deux droites –une « dure » et une tournée vers le centre- et deux gauches –une « dure » et une tournée, elle aussi, vers le centre- avec, en plus, une extrême-droite qui n’a jamais été aussi puissante et un centre qui tente, pour l’instant en vain, de ressusciter. C’est, en effet, le retour à la IVème.

Tout cela dans un champ de ruines où le pays est en pleine décomposition, l’Etat en pleine déconfiture, sous les coups des crises économique, sociale, morale, avec des chômeurs de plus en plus nombreux, des jeunes qui s’expatrient quand ils ne sont pas illettrés, des classes moyennes qui basculent dans la précarité, des inégalités qui se creusent toujours davantage et un rejet massif et rageur de toute la faune politique par toute une population qui se réfugie dans l’abstention ou les votes extrêmes et dans une atmosphère qui, bien souvent, pourrait rappeler les périodes prérévolutionnaires.

Tout a vraiment commencé avec l’éclatement de la droite au lendemain de sa défaite de 2012. On avait cru qu’il s’agissait d’une simple querelle d’égos entre Copé et Fillon. En fait, la fracture était beaucoup plus profonde. La droite ne savait plus sur quel pied danser. Le quinquennat de Sarkozy n’avait été qu’une valse-hésitation entre une ouverture à gauche (avec Kouchner et compagnie) et une radicalisation à droite (avec le fameux et bien maladroit discours de Grenoble) et l’UMP, après la défaite, continuait à se demander si elle trouverait son salut en se tournant vers les ombres centristes ou en courant derrière les électeurs de Marine Le Pen. Copé, c’était le coup de barre à droite, Fillon, le coup de barre au centre. Les deux hommes s’y épuisèrent et disparurent.

Aujourd’hui, ils ont été avantageusement remplacés par Sarkozy-de-retour pour incarner une droite « dure » défiant le Front National et par Juppé-le-revenant pour porter les couleurs d’une droite modérée et de « bon ton », cherchant à récupérer les orphelins de Borloo et les derniers fidèles de Bayrou.

Il faut se souvenir que ces deux droites s’étaient déjà bien souvent affrontées tout au cours de la Vème République. Personne n’a oublié les duels Pompidou/Poher, Giscard/Chaban, Chirac/Barre, Chirac/Balladur, duels inévitables puisque notre droite mettait, par principe, dans le même sac les gaullistes, les radicaux, les démocrates-chrétiens, les radicaux, les modérés. Mais en 2017, l’affrontement Sarkozy-Juppé sera bien pire encore.

Le PS a, lui aussi, toujours été plus ou moins divisé. On se souvient du duel Mitterrand-Rocard et, plus récemment, de tous les congrès où s’affrontaient, parfois violemment, autant de motions que d’éléphants. Les choses se sont cependant, là aussi, considérablement aggravées car le socialisme lui-même tel qu’il voulait encore se présenter, en évoquant et invoquant Jaurès et Blum, est devenu, chaque jour, à l’épreuve du pouvoir et des réalités, de plus en plus… « obsolète ».

On a donc aujourd’hui au PS, d’un côté, les vieux nostalgiques qui, chantant l’Internationale et levant le poing, s’accrochent par fidélité à l’idéologie folklorique du Front populaire, de la lutte des classes et des aubes prometteuses et, de l’autre côté, les « modernistes » qui, acceptant la loi du marché et comprenant que la classe ouvrière vote désormais pour Marine Le Pen, souhaitent faire sauter la baraque (l’immeuble de la rue Solferino), brûler les derniers drapeaux rouges et jeter aux orties l’héritage encombrant de Mitterrand pour trouver leur place dans le XXIème siècle.

Pendant des années, François Hollande avait, en tant que premier secrétaire du PS, réussi un subtile exercice d’équilibriste entre ces « anciens » et ces « modernes ». Elu président et donc enfin responsable, il s’est rapidement aperçu qu’il ne pouvait pas indéfiniment ménager la chèvre e le chou. En finissant, pour tenter de sauver sa peau, par nommer Valls à Matignon et Macron à Bercy, il a accepté d’être le fossoyeur du PS qui, avec le matador catalan et l’ancien banquier de chez Rothschild, n’est plus social-démocrate ni même plus social-libéral mais reprend pratiquement à la lettre le programme de la droite qu’elle-même n’avait d’ailleurs jamais osé mettre en oeuvre.

Mais Hollande avait oublié un détail en se faisant hara-kiri. Il enterrait le PS alors que le PS, tout moribond qu’il était, bougeait encore. Il était majoritaire à l’Assemblée. Croire que Valls était une chance de sauver la boutique en la repeignant de fond en comble, c’était oublier qu’il n’avait obtenu que… 5% lors de la primaire de la gauche. Autant dire qu’il ne représentait rien dans la famille et qu’il n’allait pas pouvoir changer le nom du PS comme il le désirait.

Du coup nous avons aussi deux PS : celui de Valls réaliste, pragmatique, prêt à toutes les compromissions avec tout le monde et à toutes les trahisons avec les grands principes pour essayer de réussir et celui de Martine Aubry, Montebourg, Filippetti, Hamon, d’Emmanuelli et des autres « fondeurs » qui croit encore aux 35 heures, à la retraite à 60 ans, à la chasse aux riches et aux patrons.

Ces deux PS sont aussi irréconciliables que les deux UMP. En clair, en 2017 nous pourrions bien avoir un premier tour qui opposerait Sarkozy, Juppé, Martine Aubry et Manuel Valls. Sarkozy faisant de la surenchère sur le Front National, Juppé et Valls tentant de récupérer les centristes et notamment Bayrou, et Martine Aubry se débattant avec ses vieilles lubies et contre Mélenchon et ce qui reste des communistes. Le tout sous le regard goguenard de Marine Le Pen.

Bref, tout se complique mais, en même temps, tout devient plus clair puisque tous les non-dits de la Vème République ressortent au grand jour et que chacun devra s’assumer tel qu’il est.

Reste, bien sûr, à savoir ce que les Français voudront et ce que la situation du pays exigera. Mais c’est une autre affaire dont nos politiciens-politicards ne se préoccupent guère…