Demain, au cours d’un référendum bien contestable, les habitants de la Crimée vont, sans guère de doute, décider de faire sécession et de quitter l’Ukraine avec l’intention évidente de devenir (ou redevenir) rapidement russes.
Les règles internationales interdisent qu’on remette en cause les frontières et l’intégrité des pays. Mais les règles de la démocratie veulent que les peuples aient le droit de disposer d’eux-mêmes et de décider de leur avenir. D’ailleurs, les exemples récents de la Tchécoslovaquie qui a éclaté en deux et du Kossovo qui a fait sécession d’avec la Serbie prouvent que chacun peut s’asseoir allègrement sur toutes ces règles.
Il est incontestable que la Crimée a toujours été fondamentalement russe (ainsi d’ailleurs qu’une bonne partie de l’est de l’Ukraine) et que l’Ukraine elle-même est un pays créé de bric et de broc aux hasards d’une histoire compliquée et d’une géographien incertaine.
Mais aujourd’hui le problème de l’Ukraine dépasse de beaucoup les rêves des russophones, les peurs des ukrainophones, les angoisses des Tatares et les rivalités séculaires entre orthodoxes et catholiques.
Il s’agit, en fait et tout simplement, d’un nouvel épisode du vieux conflit entre l’Est et l’Ouest comme aux pires temps de la guerre froide. Nous l’avions déjà vu avec la Géorgie mais nous n’avions pas voulu le reconnaitre et nous le voyons depuis des mois avec la Syrie en continuant à fermer les yeux.
Et tout ce qu’on nous raconte sur les pseudos nazis de la place de Maidan, les popes de Sébastopol, les rebelles d’Ossetie du sud, les islamistes d’Alep ou les laïcs de Damas n’a strictement aucune importance.
Restons simples. Les Occidentaux –c’est-à-dire une Europe inexistante et une Amérique sur le repli- s’imaginaient que la décomposition de ce qu’on appelait jadis l’URSS allait leur permettre de récupérer sans problème des pans entiers de l’ex-empire soviétique et que les anciennes « colonies » de Staline allaient basculer d’elles-mêmes vers l’Ouest, attirées si ce n’est pas le rêve démocratique du moins par celui du dollar et du Coca-Cola.
L’Occident n’avait pas compris qu’après les épisodes Gorbatchev et Eltsine un vrai tsar, aussi ambitieux que Pierre-le-Grand ou le « petit père des peuples », était monté sur le trône de Moscou et que cet ancien grand manitou du KGB qui avait fait enterrer solennellement les derniers Romanov avait bien l’intention de reconquérir les terres perdues pour redonner à la Sainte Russie toute sa grandeur passée.
Poutine a récupéré un bon tiers de la Géorgie sous le regard incrédule de Sarkozy et a remis sur le droit chemin Tbilissi qui lorgnait un peu trop vers l’Otan. Il a permis à son fidèle vassal Assad de se maintenir au pouvoir à Damas malgré le soutien diplomatique et militaire que l’Occident apportait à des rebelles qui s’étaient insurgés soi-disant au nom de la démocratie mais, en fait, au nom de l’Islam. En Ukraine c’est la même chose.
Comme les dirigeants de Tbilissi qui, au nom de la démocratie, se proclamaient européens, comme les rebelles d’Alep qui, au nom de la même démocratie, voulaient renverser l’homme de Moscou à Damas, la foule de Kiev voulait, toujours au nom de la démocratie, rejoindre l’Europe. En fait, la démocratie avait bon dos. En Géorgie, en Syrie et en Ukraine, des nationalistes parfois extrémistes ou des islamistes radicaux rêvaient de renverser l’ordre établi qui consistait à faire de leur pays, depuis des décennies, des vassaux respectueusement soumis à Moscou.
On apprendra sans doute un jour le rôle qu’a joué la CIA dans ces trois pays. En tous les cas, on apprend aujourd’hui que la volonté des peuples si tant est qu’elle se soit réellement prononcée dans ces cas-là, compte pour beurre en face des réalités de l’équilibre de la planète.
Jamais les « grande » Russie n’abandonnera son empire, c’est-à-dire ses « marches », ni ses « comptoirs » lointains. Jamais l’Occident ne courra au secours de ces peuples qui, pour une raison ou une autre, voulaient se libérer des griffes de l’ours russe.
Tout simplement parce que contrairement à ce qu’on nous a raconté l’équilibre de la terreur s’est rétabli. Certes, les troupes du Pacte de Varsovie n’existent plus et personne ne redoute une troisième guerre mondiale. Mais les chars de Poutine ont envahi la Géorgie, les armes de Poutine arrivent en masse en Syrie, les troupes de Poutine occupent la Crimée et les menaces dérisoires d’Obama ou de Hollande ne font pas trembler le tsar.
Il va sans doute falloir que nos grands stratèges s’aperçoivent que l’histoire ne s’est pas terminée avec la chute du Mur de Berlin et qu’elle bégaie…

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