Le « modèle » allemand
Finalement, en démocratie, il est plus facile de se faire réélire que de se faire élire. Pour se faire élire, il faut raconter n’importe quoi aux électeurs, les caresser dans le sens du poil, leur promettre monts et merveilles, les séduire par tous les moyens alors qu’on ne sait même pas ce qu’ils veulent, lancer des ignominies sur ses concurrents. Pour se faire réélire, c’est beaucoup plus simple. Il suffit… d’avoir été bon. C’est-à-dire cohérent, avec un programme cohérent. D’avoir été sans pitié, d’avoir refusé tout compromis et toute compromission. D’avoir même su se faire détester quand c’était dans l’intérêt du pays. Angela Merkel est la seule chef de gouvernement à avoir été réélue en Europe depuis que la crise ravage le continent. Tous les autres ont été balayés sans ménagement, en France, en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne, en Grèce, partout. Et c’est normal. L’Allemagne s’en est beaucoup mieux sortie que tous les autres pays. Crise ou pas, elle continue à caracoler avec un taux de chômage et des déficits acceptables et une balance commerciale époustouflante. Certes, Angela Merkel a profité des réformes de fond faites par ses prédécesseurs mais elle a su tenir la barre. Sans démagogie. François Hollande qui la déteste et qu’elle méprise rêvait d’une victoire de la gauche. Il en est encore pour ses frais et, avec ses 76% d’opinions défavorables en France, il va devoir se tenir comme un petit garçon devant la chancelière réélue triomphalement. Tout le monde s’émerveille, ce matin, de la « longévité » d’Angela Merkel qui va donc entamer son troisième mandat. C’est oublier qu’Adenauer est resté au pouvoir pendant 14 ans, 1949-1963, et qu’Helmut Kohl a été chancelier pendant 16 ans, 1982-1998. Sans parler d’Helmut Schmidt ou de Gerhard Schröder qui ont régné chacun pendant 8 ans, de 1974 à 1982 pour le premier, de 1998 à 2005 pour le second. Pendant ce temps, en France, nous pratiquions systématiquement le petit jeu de l’alternance. Depuis 35 ans, nous avons toujours sorti les sortants. Un coup à droite, un coup à gauche. 78, victoire de la droite, 81, élection de Mitterrand, 86, victoire de la droite, 88, réélection de Mitterrand, 93, victoire de la droite, 95, élection de Chirac (mais c’était contre Balladur), 97, victoire de la gauche, 2002, réélection de Chirac, 2007, élection de Sarkozy (qui avait fait toute sa campagne sur le thème de « la rupture » avec le chiraquisme), 2012, élection de Hollande. Et si Mitterrand et Chirac ont été réélus c’est parce qu’ils n’étaient plus que des présidents « de cohabitation ». On dit parfois que c’est l’esprit gaulois de nos compatriotes qui les incite à une telle versatilité. C’est absurde. Si on observe les seuls chiffres qui comptent, on s’aperçoit que, depuis Giscard, tout n’a fait que se dégrader en France. Que la droite ou la gauche ait été au pouvoir, le chômage, la précarité, les déficits et les prélèvements obligatoires n’ont fait qu’augmenter alors que les problèmes de l’immigration et de l’insécurité s’aggravaient considérablement et que l’Etat, l’Ecole et les hôpitaux se déglinguaient totalement. Ce n’est pas pour le plaisir que les Français ont transformé leur vie politique en un véritable jeu de massacre. C’est l’incompétence notoire de leurs dirigeants à stopper la dégringolade totale du pays qui les oblige non pas à choisir un autre prétendant mais à chasser le tenant du titre. On nous rebat les oreilles avec le « modèle » allemand. Nos voisins d’Outre-Rhin seraient plus travailleurs, plus disciplinés, auraient accepté sans broncher des réformes douloureuses, leurs syndicats joueraient le jeu, leurs patrons sauraient innover, parcourir le monde, etc. Tout cela est un peu vrai. Mais on peut aussi se demander, quand on compare nos deux pays, si ce n’est pas la compétence des uns et l’incompétence des autres qui a fait la différence. Schmidt était, sans doute, meilleur que Giscard, Kohl meilleur que Mitterrand, Schröder meilleur que Chirac et Angela Merkel meilleure que Sarkozy et Hollande. En quelques décennies, « le vaincu de 1945 » s’est imposé dans tous les domaines, est devenu le maitre de l’Europe et a même pu absorber sans guère de problèmes l’Allemagne de l’Est. Les Français rêvent toujours de trouver un nouveau de Gaulle. Un Schröder qui, avec son fameux « Agenda 2010 », osa s’attaquer à l’Etat-providence suffirait sans doute. Mais il est vrai aussi que les peuples n’ont jamais que les dirigeants qu’ils méritent…
Mots-clefs : Allemagne, Angela Merkel
23 Sep 2013 11:48 1. dugas
Comme le disait PLV dans un billet précédent, c’est le manque de courage des dirigeants Français qui pose un vrai problème.
Les critères de sélection ne sont pas les bons. On s’en rendra compte quand le pays aura fait plouf.
23 Sep 2013 12:11 2. CHICHE CAPON
» c’est l’incompétence notoire de leurs dirigeants…. »
C’est aussi l’incompétence notoire des électeurs à se décider pour un véritable changement de société: dès qu’il se présente, ils reculent.
23 Sep 2013 15:07 3. bertgil
-Les français ont les dirigeants qu’ils méritent.
-Issus de nos grandes écoles (Sciences po, et surtout l’ena) , ceux ci sont aux commandes dans tous les rouages de l’Etat et de l’Economie.L’échec de la France c’est leur échec.Celui ci est sans appel.
-Dans une entreprise quand il y a des problémes, c’est toujours les dirigeants qui sont responsables
-La Constitution de la 5éme République a sa part de responsabilité.Le président a trop de pouvoirs,et nous ne sommes plus dans un régime parlementaire.En d’autres termes il y a déséquilibre entre l’exécutif et le parlement.
-Les allemands ont un systémes électoral ou il y a presque de la proportionnelle.
-Les allemands n’ont pas de grandes écoles,comme les français, mais leur systéme éducatif produit de trés bons diplomates, de trés bon ingénieurs ,de trés bons dirigeants.
-Enfin les allemands, le peuple allemand,accepte,et plus volontaire que le peuple français car il a confiance dans ses dirigeants.
23 Sep 2013 15:26 4. laurentdup
Il y a 15 ans c’était le modèle Argentin, il y a 8 ans c’était le modèle Grèque, le modèle Espagnol et le modèle Irlandais… au prochain!
23 Sep 2013 15:40 5. Infraniouzes
Ne cherchez pas la raison de la réussite de l’Allemagne. Elle n’a pas de parti communiste et donc pas de CGT, SUD, FSU etc. tous ces syndicats bidons qui ne font que… de la politique au lieu de faire du syndicalisme comme on en fait en Allemagne.
En France aucun ministre ne peut exercer sa fonction sans se heurter, dans les meilleurs des cas, au véto des syndicats ou, quand ça chauffe vraiment, à une bronca monstre qui peut aller jusqu’à la démission du susdit.
Seul le ministre de l’intérieur n’a pas trop à craindre des syndicats rouges. Mais quant aux ministre: des transports, de l’éducation nationale, du travail, de l’énergie, de la justice etc. ils marchent tous sur des œufs.
Celui qui mettra de l’ordre à tout ça n’est pas encore né. Et l’Allemagne pourra caracoler en tête du peloton sans se forcer.
24 Sep 2013 7:59 6. Infraniouzes
Je prouve ce que je dis: grâce au Clic-P comme Comité de liaison intersyndical du commerce de Paris ( CFDT, CFTC, CGC, CGT, FO et SUD ) les employés qui acceptaient de travailler la nuit chez Séphora pourront dormir, mais moins riches, même s’ils n’en ont pas envie. Quand on dit que ces syndicats sont les fossoyeurs de l’emploi en France depuis 60 ans…. C’est une vue de l’esprit ?…
24 Sep 2013 9:53 7. L'ermite
<> Une phrase qui fait mal. Peut-être que ce qu’ils ont dans la tête, ou plutôt ce qu’on leur a mis dans la tête, dès leur plus jeune âge, par l’enseignement, et par la pensée dominante dont nous gavent tous les jours les médias qui penchent dangereusement du côté gauche, explique en partie cela ?
24 Sep 2013 22:48 8. Mayaud
J’ai visité la dernière exposition universelle à Shanghai:
Le pavillon français était une longue descente au milieu des photos de France. Je me souviens des belles roses (du compagnon d’une de mes amies, en Provence). Des photos de voiture. Des images épicuriennes.
Le pavillon allemand se présentait dès l’extérieur comme un panzer (char), impressionnant de technique, de robotisation et de mécanique.
L’un, une promenade, l’autre, un pays en guerre pour prouver sa compétence et attaquer les marchés !
Deux images bien différentes.
Juste avant les élections allemandes, je le souviens d’une émission radio sur la RAM, de Gap – Embrun. Il y était fait mention du scandale des emplois à moins que le smic français. Une de mes amies exprimait sa violente réprobation d’un système qui permettait de verser des sommes aussi dérisoires que 4 ou 5 euros de l’heure. C’est une honte et un scandale disait elle, comment peut on vivre avec de telles sommes.
Cela me rappelle la fille de cette même amie dont le compagnon exposait ses roses à Shanghai: lorsque nous faisions garder nos enfants pour pouvoir « sortir », nous lui avions proposé un tarif qui nous permettait de sortir sans nous ruiner. Elle avait refusé. Je demande 12 euros de l’heure disait elle. En effet, mais elle ne travaillait quasiment jamais, car à ce tarif la « sortie cinéma restaurant » revenait à 100 €.
Autant dire qu’avec nous, elle n’a travaillé qu’en seule fois… Et nos trois autres petites voisines, elles, sont venues chez nous travailler leurs devoirs tout en touchant, certes plus de deux fois moins, mais très régulièrement.
J’entends mon amie de la montagne être scandalisée. Oui mais elles travaillaient. Sinon, il n’y aurait tout simplement pas eu de travail, rien, impossible.
… Et pourtant, que vaut il mieux, une personne au travail, ou une personne payée pour être au chômage.
Je sais, dans l’esprit de beaucoup de gens, l’emploi se décrète, donc ce n’est pas un problème.
Aux États Unis, le lien au travail est très différent d’en France. En France, le lien au travail est un lien « sacré ». Aux USA, pour 25 centimes de plus de l’heure, vous changez d’employeur, sans aucun état d’âme. C’est clair. Vous allez voir Bill, et vous lui dites que John vient de vous proposer 25 centimes de l’heure de plus. John regarde ses comptes. Il vous dit oui ou non. Si c’est non, il vous souhaite bonne chance et vous trouve très heureux d’avoir su trouver un meilleur salaire, et il est fier d’avoir participé,à la carrière de quelqu’un qui avance.
En France, on vous traite de salaud, de lâcheur. « Comment, vous nous quittez pour 37,75 euros de plus par mois. C’est une honte, après tout ce que l’on a fait pour vous ! Vous ne vous en sortirez pas comme cela, je vais casser votre réputation, vous êtes un vil intéressé, on avait tort de vous faire confiance ! ».
En Allemagne, quand vous avez un diplôme, on le respecte comme tel. En France, un tas de diplômes sont bidons et on engage nos jeunes dans des formations qui font rêver, mais ne servent à rien. Je me souviendrai toujours d’un de mes stages en Allemagne où, stagiaire psychologue, on me servait du « Herr Diplom Psychologe Christophe Mayaud » (monsieur le stagiaire psychologue en cours de diplôme, Christophe Mayaud). Je n’en revenais pas. En France j’étais Christophe un petit psychologue stagiaire ridicule à l’hôpital saint Anne, en Allemagne, dans cet hôpital pour alcooliques allemand, j’avais un titre complet accolé à un nom complet !
En Allemagne, toujours, dans un autre stage dans une sidérurgie – fonderie, le patron de l’usine était connu sous le nom de « Herr Diplom Ingenieur Hans Zeizing » (Monsieur l’ingénieur diplômé Hans Zeizing). Ça ne posait pas de problème de reconnaître à ce monsieur un titre dont on sentait que c’était sérieux, et qu’il n’avait pas du rigoler pour l’avoir, et qu’il y avait une compétence derrière.
Encore une différence en matière de pédagogie: nos enfants sont dans une école à pédagogie allemande Waldorf Steiner. En troisième et en seconde, ils vont une journée en stage en entreprise une fois par semaine, tous les vendredis. Quelle ouverture sur la vie… Et l’entreprise !
En France, nous sommes tellement jaloux de la réussite des autres, que nous ne voyons même pas que nous avons nous aussi, bien souvent le choix de faire comme « ces autres ».
Un autre exemple de gestion de l’emploi qui est très différent chez nous d’avec les USA. Aux USA, lorsqu’un poste est proposé, il est demandé de faire état des compétences demandées par le poste. Ensuite, c’est au premier arrivé, premier servi. Vous ne pourrez pas faire la distinction, de par les lois sur la non discrimination et les lois sur les quotas, pour un poste ordinaire de vendeur(se), entre un blanc ou un hispanique ou un noir, ou entre une ravissante jeune fille et une dame de 58 ans.
Du coup, l’emploi tourne très vite. On ne se retrouve pas éjecté du système parce que l’on a plus de 55 ans, ou l’on n’a pas un minois à faire frémir.
Autre différence importante, aux USA, vous ne ferez jamais un reproche personnel à un employé pour un travail mal fait. Vous lui direz que vous voulez vous plaindre que le travail est mal fait ou que vois n’êtes pas content de la façon dont ce travail à été fait. Vous avez le droit d’adresser un reproche à la fonction, pas à la personne.
Le travail n’est pas personnifié. Si vous avez une saute d’humeur à faire sur un employé, il va vous demander de vous adresser à son manager, pour un reproche à faire sur l’organisation ou la compétence liée à une fonction, pas une personne. Vous avez le droit de vous plaindre d’une fonction ou d’une attente mal remplie, pas de la personne qui est sensée ne faire que ce qu’elle peut.
Inimaginable chez nous, où le travail est en permanence personnifié, et donc source de stress. Rafraîchissant pour nous français d’aller dans des magasins où le personnel n’est pas « formaté »…
… Et pourtant interrogez un français sur l’Amérique ou l’Allemagne, il va vous dire que la bas, c’est le bagne, que l’on se permet tout… En fait c’est tout le contraire qui se passe, là bas, on respecte l’individu qui est protégé par des droits, et à des devoirs. Ici, on bafoue en permanence l’individu en lui affublant des étiquettes, des à priori, en exigeant des diplômes ridiculement inutiles dans des fonctions qui ne l’exigent pas.
« Choice » (choix) comme dit mon beau frère. On a le choix de subir un chômage plus élevé que nos voisins, de taxer à l’infini nos compatriotes, de complexifier à l’infini le droit individuel celui de l’entreprise, nos rapports avec les administrations, etc.
Nous avons le choix de ne pas regarder ce qui se passe chez nos,voisins, de ne pas connaître le monde autrement que par leurs plages.
Mais n’allons pas nous plaindre de sombrer peu à peu, et d’être la risée du monde quand nous croyons en être le fleuron.
Amicalement, Christophe