Mitterrand-le-machiavélique avait fait la promotion du Front National avec l’idée d’empêcher à tout jamais la droite « classique » d’atteindre la majorité. Le calcul était malin. La gauche et la droite étant à peu près à 50/50, en privant la droite dite « républicaine » de 10 ou 15% de voix allant à l’extrême-droite, il pensait pouvoir assurer pour longtemps à la gauche des succès faciles. Le pari était, pensait-il, sans risque. Lui qui n’hésitait pas à faire alliance avec l’extrême-gauche des anciens staliniens et trotskistes, savait parfaitement que les héritiers putatifs de de Gaulle n’accepteraient jamais de s’associer avec l’extrême-droite, préférant « perdre les élections plutôt que de perdre leur âme », selon une formule célèbre et peut-être maladroite. Il avait donc instauré la proportionnelle pour les législatives de 1986 et avait pris l’habitude d’agiter des chiffons rouges (du genre du vote des étrangers) à la veille de chaque élection. L’opération avait plutôt bien réussi, le RPR et ses amis centristes perdant régulièrement des élections en raison des fameuses triangulaires que ce système diabolique leur imposait. Mais la justice existant tout de même dans ce bas-monde, le boomerang lancé par Mitterrand contre Chirac est revenu en plein visage de Jospin en 2002, Jean-Marie Le Pen devançant, au premier tour de la présidentielle, le Premier ministre socialiste candidat et l’éliminant sans pitié de la compétition puisqu’il n’y a pas de triangulaire pour la présidentielle. Mitterrand avait fait une grave erreur d’appréciation. Il s’était imaginé que l’extrême-droite (qu’il avait bien connue pendant sa jeunesse) ne puisait ses électeurs que parmi les nostalgiques du pétainisme ou de l’Algérie française. Il n’avait pas vu qu’elle recrutait désormais surtout parmi les chômeurs, les déclassés, les exclus, tous ceux qui ne supportaient plus les balivernes et les incompétences des partis « officiels » qui alternaient au pouvoir sans être capables, ni les uns ni les autres, de faire face aux problèmes du pays. Le F.N. n’était plus le parti des « fascistes », il était devenu… « le premier parti ouvrier de France », en lieu et place du PS et du PCF. La montée du chômage, la dégradation générale du pays, l’Europe imposée à marche forcée par une « élite » coupée du peuple, la mondialisation, due au réveil fulgurant des pays lointains, ne firent qu’accélérer le mouvement. Cela dit, si Mitterrand est, en grande partie, à l’origine du réveil de l’extrême-droite (mais on constate le même phénomène un peu partout en Europe), il faut bien reconnaitre que la droite « classique et de bon ton » y est aussi pour quelque chose. Imprégnée par « la pensée unique » et « le politiquement correct », en clair l’idéologie soixante-huitarde, elle répugnait soudain à défendre ses propres valeurs (le mot « valeur » lui-même lui semblant imprononçable). Pataugeant à plaisir dans la repentance, l’autocritique et le masochisme, elle se refusait à évoquer non seulement la France, la Patrie, la nation, mais aussi les problèmes de l’immigration ou de la délinquance, tout en augmentant les impôts, le nombre des fonctionnaires et en engraissant toujours davantage l’Etat-providence. Faisant une politique bien souvent « de gauche », elle avait abandonné son fonds de commerce à l’extrême-droite. Du coup, le FN, après n’avoir bénéficié que du « rejet » des autres partis, recueillait « l’adhésion » de certains électeurs. Si les 10,44% recueillis par Jean-Marie Le Pen à la présidentielle de 2007 n’ont pas empêché Nicolas Sarkozy d’être élu, il est vraisemblable que les 17,9% obtenus par Marine Le Pen en 2012 ont permis à François Hollande de l’emporter. Malgré la bien malhabile « droitisation » de Sarkozy au tout dernier moment, les 6.421.000 voix qu’elle avait empochées au premier tour ne se sont pas toutes reportées, loin s’en faut, au second tour, sur le président sortant auquel, on l’a trop souvent oublié, il n’a manqué que 1.140.000 voix pour être réélu. Les huit élections partielles qui se sont déroulées ces derniers mois sont particulièrement intéressantes à observer. Le PS les a toutes perdues (Val-de-Marne, Hérault, Hauts-de-Seine, Oise, Wallis-et-Futuna, 1ère circonscription des Français de l’étranger, 8ème circonscription des Français de l’étranger et Lot-et-Garonne). Mais, mieux encore, pour quatre d’entre elles (Val-de-Marne, Oise, 8ème des Français de l’étranger et Lot-et-Garonne) le candidat socialiste a été éliminé dès le premier tour. Et dans deux cas, l’Oise et le Lot-et-Garonne, c’est le candidat du Front National qui a été qualifié pour affronter le candidat UMP au second tour. Ce qui veut dire que le piège inventé par Mitterrand joue maintenant aussi bien contre la droite classique que contre la gauche. Nous parlions, hier, d’« un 21 avril villeneuvois ». Il s’est réalisé et risque bien de se reproduire dans de plus en plus de scrutins, faisant de plus en plus souvent du FN… « le second parti de France ». La gauche devrait comprendre qu’elle joue avec le feu et qu’elle y perd des plumes. Il ne fait aucun doute qu’avec son mariage pour les homosexuels, comme jadis Mitterrand avec le vote des étrangers, Hollande a jeté, consciemment ou non, un certain nombre d’électeurs dans les bras du FN et d’autant plus que la droite n’a pas su ou pas voulu prendre une attitude claire dans cette affaire. Mais la droite devrait aussi comprendre que ses querelles de personnes, ses divisions idéologiques et plus encore son manque de programme sont du pain bénit pour Marine Le Pen. Chacun –Hollande d’un côté, Copé et Fillon, de l’autre- prépare déjà 2017 avec l’espoir d’avoir à affronter au second tour Marine Le Pen pour l’emporter sans guère de problèmes. Mais il faudrait qu’ils s’aperçoivent, d’un côté comme de l’autre, qu’avant de l’emporter facilement devant la candidate du FN au second tour, ils risquent fort, l’un ou l’autre, d’avoir été éliminé par cette même candidate dès le premier tour. Car, aujourd’hui, Marine Le Pen semble capable d’arriver en deuxième position, sans qu’on puisse dire, pour l’instant, celui qu’elle aura ainsi sorti du jeu.

Mots-clefs : , ,