Faut-il que notre planète soit dans un triste état et que plus aucune figure emblématique ne fasse rêver personne pour que le jury norvégien du prix Nobel de la Paix en ait été réduit à attribuer, cette année, ses lauriers à l’Union européenne. Les technocrates honnis de Bruxelles succèdent donc aux Albert Schweitzer, Martin Luther King, Dalaï-lama et aux autres Mère Térésa de jadis.
On dira que depuis soixante ans nos vieilles nations ne se sont plus massacrées entre elles et sont devenues pacifiques. C’est vrai. A condition, bien sûr, d’oublier ce qui s’est passé dans l’ancienne Yougoslavie et les innombrables interventions guerrières auxquelles ont participé, de l’Afghanistan à la Libye, les pays de la dite Union européenne.
Mais les Norvégiens qui ont toujours eux-mêmes prudemment refusé de faire partie de l’Union européenne (ils lui ont dit « non » en 1972 et en 1994) semblent ignorer que la guerre traditionnelle à coups de canon a été remplacée par la guerre économique, mondiale, elle, au sens exact du terme, et que, sur ce plan là, l’Europe pacifiée ressemble déjà à un immense champ de ruines.
Peut-on dire qu’un continent est un exemple de réussite quand il compte des millions de chômeurs, que ses jeunes sont désespérés, que des foules conspuent les dirigeants (européens) et que des affamés fouillent dans les ordures pour y trouver de quoi manger ? Les Norvégiens ignoreraient-ils l’histoire au point de ne pas savoir que ce sont les crises économiques qui conduisent aux guerres, que la crise de 1929 a annoncé la Deuxième guerre mondiale ?
La situation actuelle de l’Europe des 27 prouve à quel point nos responsables se sont fourvoyés en voulant ignorer à la fois les réalités et la volonté des peuples.
Il était absurde de vouloir embarquer dans le même bateau des pays dont le PIB dépasse les 2 milliards d’€ (comme l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne ou l’Italie) et des pays dont le PIB est dix fois moins important (comme la Roumanie) voire cent fois moins (comme la Bulgarie).
Il était absurde de poursuivre à marche forcée la route vers le fédéralisme alors que, quand ils étaient (rarement) consultés, les peuples rejetaient ce « machin » qu’on voulait leur imposer, se réfugiant souvent vers un nationalisme d’antan, quand ce n’était pas vers un régionalisme renaissant.
Aujourd’hui, cette Europe connait une crise sans précédent, semble à bout de souffle et est scindée en deux comme elle ne l’a jamais été. Les gens du Nord en ont assez de payer pour les autres, les gens du Sud ne veulent pas se soumettre à la dictature de ceux qui paient. La France faisant curieusement partie à la fois des riches et des « indignés ».
Quoi qu’il en soit, jamais l’Europe n’a été aussi contestée par les Européens eux-mêmes. Parce que cette belle idée d’un continent fraternel s’est transformée en un cauchemar où les comptables de Berlin voudraient faire marcher tout le monde au pas de l’oie.
Et c’est le moment qu’ont choisi les Norvégiens pour honorer cette Europe dont tout le monde se demande si elle ne va pas sombrer corps et biens au milieu de toutes ses incohérences.
En cherchant bien, ils auraient sans doute pu trouver quelqu’un d’autre.

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