La formation d’un gouvernement est toujours un exercice difficile. Sur le coup, les observateurs relèvent le nombre de femmes présentes dans l’équipe, les tendances représentées, les circonscriptions d’origine de chacun, voire la moyenne d’âge. Ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’on commence à comprendre pourquoi un tel ou untel a été choisi par le président-souverain et placé ici ou là.
Avec le gouvernement Ayrault, on avait tout de suite vu que le président « normal » s’était choisi un Premier ministre encore plus « normal » que lui, c’est-à-dire encore plus fade, ce qui lui garantissait que son vizir ne lui ferait jamais d’ombre.
Mais on s’était étonné de quelques nominations inattendues. D’abord, celles de deux de ses anciens rivaux lors des primaires de la gauche : Montebourg et Valls. La chose était d’autant plus étonnante que Montebourg, le chantre de la dé-mondialisation, était nommé au « Redressement productif », donc en première ligne de la mondialisation et que Valls qui s’était illustré avec un discours qui pouvait rappeler les meilleurs ténors de la droite dure était envoyé Place Beauvau.
Surprenante aussi, la nomination du « vieux » Fabius, apôtre du « non » au Traité constitutionnel européen, qui recevait le Quai d’Orsay alors qu’il était évident que le quinquennat allait être dominé par les affaires européennes.
Enfin, on souriait de voir que Cécile Duflot, la madone des Ecologistes, n’avait pas droit au ministère de l’Ecologie mais était expédiée au Logement.
Aujourd’hui, on comprend peut-être mieux. Hollande a tout appris de François Mitterrand-le-florentin lequel avait nommé à Matignon son ennemi juré Michel Rocard pour le tuer sur pied et sur place.
Et si Hollande n’avait pas choisi ses ministres pour former une équipe soudée, cohérente et capable d’affronter les pires difficultés mais avec la seule idée d’éliminer, plus ou moins à petit feu, d’éventuels rivaux pour 2017 ?
Montebourg avec son grand sourire carnassier et qui n’a rien compris au scénario est déjà vitrifié. Les ouvriers qui ne lui pardonneront jamais ses rodomontades grotesques le conspuent. Un de moins. Valls qui joue les super-Pasqua et qui donc est déjà sifflé par toutes les associations de bobos droits-de-l’hommistes, est mort à gauche. Deux de moins.
Fabius qui avait tendance à vouloir, faute de mieux, jouer les sages donneurs de leçons est réduit au silence et doit faire mine de soutenir le Traité budgétaire européen. Il va se déconsidérer au fil des mois tant il va devoir avaler, tout sourire, les pires des couleuvres.
Cécile Duflot qui s’accroche à son Logement et plus encore à l’hôtel particulier de son ministère doit faire des acrobaties pour expliquer qu’elle est solidaire à la fois du gouvernement et de ses amis d’Europe-Ecologie-les-Verts, donc à la fois « pour » et « contre » ce Traité budgétaire. A force de faire le saut de l’ange, elle va finir, avant longtemps, par rater son trapèze et par s’écraser sur la piste.
On dira que rien ne prouve un tel machiavélisme de la part du chef de l’Etat. Certes. Si ce n’est qu’à l’usage on ne voit vraiment pas pourquoi Hollande aurait nommé tous ces adversaires qui le détestent et qu’il ne porte pas dans son cœur à des postes importants auxquels rien ne les prédestinait. Sauf à vouloir justement les assassiner.
Si cette hypothèse florentine se confirmait, les politologues applaudiraient, sans doute, à la performance du Président. L’ancien premier secrétaire du PS manierait encore mieux que son maître de jadis la dague, les philtres, les coups fourrés, les coups bas et les coups de… Jarnac.
Le problème est que la France, aujourd’hui, n’a pas besoin d’un Machiavel. Que le monarque se délecte en envoyant ses éventuels rivaux au casse-pipe est classique mais sans intérêt.
En attendant, les usines que Montebourg devaient sauver ferment les unes après les autres, le retour à la sécurité que nous promettait Valls se fait de plus en plus attendre, à Marseille comme ailleurs, ce qui ne l’empêche pas de chasser le Rom aussi bien que ceux que, jadis, il qualifiait de « fascistes », Fabius rigole, dans le bureau de Vergennes, en voyant l’Europe sombrer corps et biens et Cécile Duflot ridiculise le gouvernement tout en se ridiculisant elle-même.
Personne ne peut croire que cette équipe tiendra cinq ans et Martine Aubry attend dans son beffroi lillois.

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