Jusqu’à présent, il était de bon ton, à l’Elysée, d’ironiser sur Dominique de Villepin. Pour les uns, il allait sans doute être condamné (mercredi) par le tribunal dans le procès en appel de l’affaire Clearstream et donc disparaitre à tout jamais du paysage politique. Pour les autres, ce farfelu un brin loufoque allait inévitablement connaître, avant longtemps, le sort de ces vedettes d’un instant –on citait cruellement Michel Jobert, né lui aussi au Maroc, lui aussi énarque, lui aussi ancien secrétaire général de l’Elysée, lui aussi ancien ministre des Affaires Etrangères- qui, à force de vouloir être « ailleurs », finissent par être nulle part et totalement oubliées.
On comprenait d’ailleurs mal, dans l’entourage de Sarkozy, l’attitude du Président qui voulait toujours accrocher Villepin à un croc de boucher mais multipliait en même temps les opérations de séduction à son égard, avec petit déjeuner pour parler du G20, autre petit déjeuner pour discuter de la crise de l’euro, évocation d’un poste diplomatique de haut rang, allusion à un futur siège de député des Français de l’étranger… Villepin se contentant à chaque fois de regarder Sarkozy de haut et de répéter qu’il n’était « pas négociable », une expression incompréhensible pour le Président.
En tous les cas, aucun des conseillers de Sarkozy ne semblait attacher la moindre importance à Villepin puisque les sondages lui donnaient désormais 4/5% et qu’il était donc vraisemblable qu’il n’irait pas jusqu’au bout de ses menaces.
Aujourd’hui, on a compris que tout avait changé. On ne rigole plus d’une candidature Villepin à la présidentielle.
Le Journal du Dimanche fait sa « une » avec une immense photo de Villepin et ce titre : « Un porteur de valises accuse Villepin ».
Il faut savoir que le Journal du Dimanche fait partie de ces journaux dont la complaisance obséquieuse à l’égard du sarkozisme est parfois stupéfiante et que le « porteur de valises » en question n’est autre que Robert Bourgi le conseiller faussement occulte de Sarkozy pour les affaires africaines. Un personnage sulfureux (comme tous les spécialistes de l’Afrique) et qui, après avoir rêvé de succéder à Jacques Foccart, a servi Chirac (jusqu’à ce que Villepin le vire en 2005) puis, dès 2007 –et sans doute avant- Sarkozy ainsi surtout que, de tout temps, tous les potentats africains de notre ancien empire.
On voit donc clairement d’où est parti le coup. Du Faubourg Saint-Honoré.
Bourgi affirme, ce matin, que pendant des années il a, lui-même, apporté des valises africaines bourrées de dollars à Chirac et à Villepin, à l’Hôtel de Ville puis à l’Elysée. Prenant les lecteurs pour plus naïfs qu’ils ne sont, il ajoute que, naturellement, ces mœurs condamnables (qu’il pratiquait lui-même assidûment) ont totalement cessé, comme par enchantement, dès l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée. On comprend d’ailleurs mal que le Président de cette « République irréprochable » ait tenu à garder auprès de lui un tel spécialiste des transports de fonds.
Chirac et Villepin ont, dès aujourd’hui, décidé de le poursuivre en justice.
Ce qui est important ce n’est pas ce que « révèle » Bourgi. Tout le monde sait parfaitement que « les rois nègres » que la France a toujours arrosés généreusement pour leur permettre de se construire des palais mirifiques, de s’offrir des polices politiques bien utiles et de se payer des appartements de grand luxe à Paris ou en Suisse, ont toujours su « rendre la monnaie » et que les gouvernements français successifs, de droite comme de gauche, ont toujours su leur renvoyer l’ascenseur.
Ce qui est intéressant c’est que ce soit aujourd’hui que le dit Bourgi se mette à table pour « balancer » Chirac et surtout Villepin.
On est en plein procès Chirac, et comme l’état de santé de l’ancien Président ne lui permet pas d’assister aux audiences, le procès un peu « abracadabrantesque » tant attendu par les sarkozistes va faire « pschitt ». Le verdict du procès Clearstream va tomber mercredi et pourrait bien, une nouvelle fois, innocenter Villepin. Le dossier sur l’affaire des sous-marins vendus au Pakistan s’entrouvre, chaque jour davantage, et plus personne ne doute vraiment que des rétro-commissions aient servi à financer en 1995 la campagne de Balladur dont Sarkozy était le bras droit. Et surtout on voit, depuis quelque temps, tous les jours, Villepin sur tous les écrans de télévision nous annoncer qu’il sera « très vraisemblablement » candidat l’année prochaine.
Faute de pouvoir l’accrocher à un croc de boucher, Sarkozy a donc évidemment décidé de massacrer Villepin à coups de boules puantes. C’est Couve de Murville contre Pompidou en 1969 avec l’affaire Markovic, Chirac contre Chaban en 1974 avec la feuille d’impôts, Pasqua contre Giscard en 1981 avec l’affaire des diamants, Barre contre Chirac en 1988 avec les affaires de la Ville de Paris, etc. Un grand classique de nos moeurs politiques.
Pourquoi Sarkozy a-t-il soudain si peur de Villepin ? Parce qu’il s’aperçoit que malgré tous les malheurs de la gauche –affaire DSK, affaire Guérini, chamailleries dans la primaire- il ne remonte pas dans les sondages. Parce que, malgré sa baisse actuelle dans ces mêmes sondages, Marine Le Pen reste évidemment une menace. Parce qu’il est de plus en plus évident que les radicaux de Borloo, les centristes de Bayrou et les gaullistes de Villepin sont bien décidés à voter pour « n’importe qui mais pas Sarko » et que donc avec ses petits 5% (qui peuvent grossir en huit mois) Villepin pourrait bien lui faire mordre la poussière dès le premier tour.
Et puis surtout Villepin, tout isolé qu’il soit, tout décrié qu’il puisse être, a adopté la posture de la statue du commandeur. N’ayant rien à perdre et tout à gagner, il s’offre le luxe de juger, de fustiger, de condamner, à propos de tout et souvent même de n’importe quoi, celui qu’il appelle « le nain », « le nabot », « l’usurpateur » et qui, selon lui, a sali « d’une tache de la honte le drapeau français ». C’est d’autant plus insupportable pour Sarkozy que « l’autre » vise souvent juste et peut faire des dégâts considérables même s’il n’en tire pas lui-même profit. Alors, haro sur « l’aristo prétentieux » !
Mais Sarkozy est diablement imprudent. Il semble ignorer le principe du boomerang. L’affaire des sous-marins pakistanais (que Villepin a suivie personnellement dès 1993, comme directeur de cabinet de Juppé au Quai d’Orsay, puis, à partir de 1995, comme secrétaire général de l’Elysée) a commencé à sortir dans la presse quand Sarkozy a porté plainte contre Villepin dans l’affaire Clearstream. Elle pourrait bien éclater au (très) grand jour si certains amis de Villepin trouvaient qu’avec ces « révélations » de Bourgi, étalées à la « une » du journal de Lagardère, « le nabot » avait franchi la ligne jaune.
Sarkozy a sûrement eu tort de déclarer une deuxième fois la guerre à Villepin. Depuis l’élimination de DSK, on s’attendait à une campagne dure. On sait maintenant qu’elle va être épouvantable.

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