Si tout notre petit personnel politique prend des mines contrites en voyant Dominique Strauss-Kahn derrière ses barreaux new-yorkais, tout le monde, bien sûr, se lèche, en même temps, les babines.
A droite, chez Sarkozy, on se dit que l’adversaire redoutable et redouté étant éliminé, tout redevient possible. Au centre, chez Bayrou, chez Borloo, chez Villepin, on comprend qu’il y a là une chance inespérée d’exister de nouveau alors que jusqu’à présent « l’obsédé sexuel de la place des Vosges » occupait indûment cet espace. A gauche, au PS, c’est évidemment l’euphorie. Les candidats déjà déclarés pensaient qu’ils ne pourraient faire qu’un peu de figuration lors des primaires et les candidats potentiels n’osaient même pas sortir du bois de peur d’être ridicules. Même la candidate « légitime », Martine Aubry, première secrétaire du PS, s’était résignée à jouer les faire-valoir de DSK en échange d’une promesse de Matignon.
Et voilà soudain que le héros, l’idole, le vainqueur annoncé s’est fait pincer comme un vulgaire délinquant sexuel et risque bien de passer quelques quinquennats en prison.
Du coup, plus personne ne pourra reprocher à Sarkozy de ne pas être un parangon de vertu, la social-démocratie strauss-kahnienne disparait à tout jamais et les radicaux, les démocrates-chrétiens et les gaullistes sociaux retrouvent leur terrain de prédilection et le PS peut se délecter de nouveau dans ses querelles internes.
Car c’est, bien sûr, rue Solferino qu’on est le plus content. Hollande s’y voit déjà, Martine Aubry va, sans guère de doute, « se sacrifier » et annoncer sa candidature, Ségolène Royal se remet à rêver, Valls se dit « pourquoi pas moi ? », Moscovici va se croire obligé de remplacer son mentor et rien ne dit qu’un Fabius, voire qu’un Jospin ne va pas estimer de son devoir de remplacer, au pied levé, le favori déchu. On disait les primaires de la gauche jouées d’avance, elles vont ressembler au plus fabuleux des pugilats. Les dés ne sont plus pipés.
Cela dit, il ne fait aucun doute que si ces primaires de gauche vont être sanglantes, le candidat désigné, quel qu’il soit, aura du mal à remonter la pente. Aux yeux des électeurs, il ne sera jamais qu’un pis-aller, un remplaçant, un suppléant de DSK. Il ne pourra pas, sans faire éclater de rire la France entière, évoquer le retour à la morale, la probité, l’honnêteté. Il trainera derrière lui l’ombre de DSK comme un boulet.
Mais les amis de Sarkozy auraient tort de se réjouir trop fort. L’élimination de DSK ne change rien au bilan catastrophique que va devoir présenter le candidat sortant sur le chômage, la précarité, la dette, les déficits, la dégradation de tous les services publics et son image de président bling-bling, inculte et amis de riches ne va pas être redorée par celle de Strauss-Kahn menotté.
En fait, ce sont les centristes, toutes catégories réunies, qui peuvent être les bénéficiaires de ce coup de théâtre inattendu. Sans qu’on n’ait jamais très bien compris pourquoi, Strauss-Kahn plaisait à ce marais centriste où l’on retrouvait les nostalgiques de Lecanuet, de Barre et de Balladur que la droitisation et le tout sécuritaire de Sarkozy avaient scandalisés. Ils trouvaient DSK sérieux, honnête, un vrai comptable capable de gérer les affaires de la France en… bon père de famille.
Bayrou sortant de la messe, Borloo sortant d’un bistrot ou d’une loge franc-maçonne, voire Villepin de retour de Colombey-les-deux-Eglises vont-ils pouvoir faire alliance pour récupérer ces quelques millions de voix centristes ? Eux aussi vont faire figure de pis-aller.
Privés brusquement de Strauss-Kahn, les électeurs se retrouvent avec un président sortant dont ils ne veulent toujours pas, un PS marqué du fer rouge de l’infamie, une Marine Le Pen pour laquelle ces dernières turpitudes sont du pain bénit et quelques candidats auxquels personne ne croyait et qui se mettent brusquement à pouvoir exister.

Ces seconds couteaux qui ne sont tous, eux aussi, que des pis-aller ont quelques mois pour apparaitre comme des hommes providentiels. Du moins l’un d’entre eux.

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