La polémique qui agite depuis 24 heures le microcosme parisien est totalement ridicule. D’après certains, on n’aurait pas le droit de dire que Jacques Chirac est très, très fatigué et qu’il souffre, sans doute, de la maladie d’Alzheimer. Ce serait, nous dit-on, « indécent et scandaleux ».
Bernadette Chirac qui s’indigne de ce qu’a écrit, hier, le Journal du Dimanche, reconnaît pourtant que son mari « a des difficultés pour marcher », qu’« il entend mal », qu’« il perd la mémoire » et qu’« il lui arrive de devenir coléreux ». Jadis, on aurait dit qu’il devenait « gâteux ». Aujourd’hui, on évoque plutôt un début d’Alzheimer. C’est plus élégant mais c’est, hélas, la même chose. Et c’est, bien, sûr, dramatique.
Tous ceux qui ont rencontré l’ancien président ces dernières semaines ont vu qu’en effet il se traînait péniblement, s’appuyait sur l’épaule de quelqu’un pour avancer et semblait totalement absent. Je l’ai moi-même aperçu lors d’une remise de décoration. Il ne reconnaissait personne, avait un regard affolé et lisait avec difficulté le discours qu’on lui avait préparé. On ne pouvait qu’être bouleversé devant le spectacle de la décrépitude de cette grande « carcasse » qu’on a connue si dynamique, si alerte pendant tant d’années.
A-t-on le droit de le dire ? Oui, bien sûr. Viole-t-on ainsi « le secret de la vie privée » ? Evidemment, non.
Jacques Chirac est toujours un personnage public. Ancien chef de l’Etat, il est membre de droit du Conseil constitutionnel et il y siège fréquemment. Il est même aujourd’hui, d’après tous les sondages, « la personnalité politique préférée des Français ». Nous avons donc parfaitement le droit de savoir dans quel état il est et d’autant plus que certains veulent le traîner en justice.
Il serait grand temps que ce pays devienne adulte et que les Français aient droit à toutes les vérités. Constater que cet ancien président, âgé de 79 ans, sombre dans la vieillesse n’est pas porter atteinte à sa dignité. Ses anciens partisans en seront très tristes, ses anciens adversaires ne s’en réjouiront pas. Pas plus que les adversaires de François Mitterrand ne se sont jamais réjouis de la maladie dont celui-ci a eu à souffrir pendant ses deux septennats et qui a fini par l’emporter.
Il est absurde qu’on veuille nous cacher l’état de santé de Chirac comme il a été scandaleux qu’on nous cache la maladie de Pompidou et celle de Mitterrand. Rappelons que ces deux présidents, Pompidou et Mitterrand, savaient, l’un et l’autre, qu’ils étaient atteints d’une maladie grave et sans doute incurable avant même d’entamer leur mandat. Il aurait été normal que les Français en soient informés. On a préféré nous mentir.
Pour Chirac c’est différent. Il n’est qu’ancien président et son état physique ne peut plus avoir la moindre conséquence sur le fonctionnement de l’Etat. Mais on veut tout de même nous mentir. Au nom du sacro-saint secret de la vie privée.
Pendant combien de temps faudra-t-il dire et répéter que les hommes « publics » ne peuvent pas avoir de vie « privée ». Les Français devraient tout savoir notamment sur leurs amours et leur santé qui sont pourtant les deux domaines les plus « privés » de la vie d’un homme. Trop de personnages politiques importants ont pris des décisions essentielles pour le pays simplement parce qu’ils voulaient plaire à une maîtresse ou parce qu’ils étaient physiquement incapables de résister à l’influence de leur entourage.
Pompidou, malade, a laissé, pendant des mois, le pouvoir à Pierre Juillet et à Marie-France Garaud ; Giscard, amoureux, a négocié avec des rebelles tchadiens pour récupérer une jeune maîtresse qu’ils détenaient en otage ; Mitterrand a nommé Edith Cresson premier ministre, etc.. Tout cela n’est pas normal. Mais personne n’a jamais rien osé dire au nom du secret de la vie privée.
Une démocratie ne peut pas vivre entre les secrets d’Etat et les secrets de la vie privée.
Les Français en ont assez de ces « cachotteries » que veulent se réserver les salons parisiens.

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