C’est bien connu. Dans la jungle, on voit souvent deux lionnes s’entredéchirer sans pitié alors que le lion, superbe et généreux mais surtout sûr de lui et indifférent, semble somnoler sur le haut d’une colline. Les yeux mi-clos, il rigole doucement, sachant parfaitement que le moment venu c’est lui et lui seul qui aura… la part du lion.
Le Parti socialiste a sa jungle, inextricable, et ses fauves, innombrables et en tout genre. Le troupeau des éléphants vieillissants s’est éloigné, les crocodiles se sont dévorés dans les marigots, les jeunes tigres se font les dents, les vautours attendent leur heure, mais les lionnes et le lion se réveillent à l’odeur du festin qu’ils imaginent plantureux.
Les touristes qui observent la réserve animalière commencent à se poser « la » question : les socialistes vont-ils réussir l’exploit de perdre une quatrième fois de suite les élections présidentielles ?
A priori, on ne leur donnait aucune chance de perdre. Depuis des mois, leur candidat virtuel caracole très loin en tête dans tous les sondages. Absent et silencieux, Dominique Strauss-Kahn dépasse parfois les 60% d’opinions favorables. Si les militants purs et durs du PS tordent un peu le nez sur ce technocrate du capitalisme mondial, ceux de leurs camarades qui en ont assez de perdre à tous les coups lui trouvent des charmes insoupçonnés et les électeurs du centre et du centre-droit ont oublié le (vrai) père des 35 heures pour s’amouracher du patron du FMI, adepte de la rigueur et de l’austérité.
La crise a déroulé un tapis rouge devant DSK en l’affublant soudain du costume de l’homme providentiel comme si le FMI avait jamais sauvé un pays de la banqueroute. Mais il faut aussi rendre justice à Nicolas Sarkozy qui, en multipliant les erreurs, les maladresses et les provocations, a vraiment tout mis en oeuvre pour métamorphoser cet homme qu’on croyait fini en symbole de l’espoir d’un sursaut.
Les jeux semblaient donc faits. Sarkozy qui avait raté son coup de barre à droite, refusé de faire un virage social, manqué son remaniement ministériel, allait patauger dans une présidence du G20 dérisoire et se prendre les pieds dans des promesses de réformes inconsidérées aussi bien à propos de la protection sociale (la dépendance notamment) qu’à propos de la fiscalité. Et quand les trois coups de la campagne présidentielle seraient enfin frappés, Strauss-Kahn, après s’être tant fait désiré, apparaitrait dans toute sa splendeur au milieu d’une foule en délire. Le Messie !
On avait oublié les ressources inépuisables du PS qui, depuis des années, semble disputer avec acharnement à la droite moins la présidence de la République que le titre de la famille politique « la plus bête du monde ».
Ils nous avaient raconté qu’ils s’étaient mis d’accord. On avait cru comprendre que cela voulait dire « Tous pour un ». Pas du tout. C’était « Chacun pour soi ». Mieux même, c’était « Et que le meilleur perde ».
Hier, la journée a été particulièrement révélatrice.
A Athènes, Strauss-Kahn a montré le bout de son nez en critiquant, devant les députés grecs, la manière dont les capitales européennes affrontaient la crise « L’Europe, a-t-il susurré, a besoin de quelque chose de plus dynamique ». Mais il a surtout ajouté : « Car, contrairement à ce que disent certains, la crise est loin d’être terminée ». Qui sont ces « certains » qui disent n’importe quoi ? Le professeur d’économie commence à donner des leçons à Sarkozy.
Mais l’important était ailleurs. Car, pendant ce temps, en banlieue, Ségolène Royal, dans le Val d’Oise, et Martine Aubry, en Seine-Saint-Denis, sont montées, sur le ring et nous ont offert, en avant-première, un aperçu du spectacle qu’elles préparent.
Comme par hasard, toutes les deux, à la même heure, en banlieue, en campagne, « à la rencontre des gens », les « vrais gens », bien sûr, comme on dit rue Solferino, sur le thème du chômage des jeunes. L’une, candidate officielle aux primaires, rejouant les stars de 2007, entourée par la meute des photographes. L’autre, encore incertaine sur sa décision (tu parles !) mais plus première secrétaire que jamais et donc « légitime », jouant les revêches, faisant mine d’éloigner les photographes (qui avaient été convoqués) et ironisant sur ceux (celle) qui cherchent à faire parler d’eux à tout prix.
La hache de guerre, mal enterrée après le congrès de Reims, est ressortie. Ca va saigner ! Les deux viragos vont se crêper le chignon avant de se crever les yeux. Au PS, la camaraderie peut aller jusqu’à la haine la plus absolue quand il s’agit de faire perdre l’autre.
Reste à savoir si ces grotesques pantalonnades, particulièrement insupportables à un moment où le pays connaît une crise épouvantable, vont décourager les électeurs ou si les deux harpies vont, dans leur duel à mort, se réduire en cendres pour laisser place nette au grand lion quand il descendra de sa colline.
A l’Elysée, on reprend espoir, par moments. Un proche ironisait, hier soir : « Avec eux, on est rarement déçu ». Les socialistes, dernier espoir de Sarkozy ?

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