Tout semblait parfaitement clair dans l’affaire de Karachi.
Les patrons des services secrets pakistanais avaient fait assassiner, en 2002, à Karachi, onze ingénieurs français de la Direction des Constructions Navale parce que Paris avait décidé, en 1995, d’interrompre les commissions qui devaient leur être versées dans le cadre de l’achat par le Pakistan, en 1994, de trois sous-marins français. Pendant sept ans, de 1995 à 2002, ces généraux et ces amiraux avaient protesté, menacé et finalement ils avaient mis leurs menaces à exécution.
Il semblait tout aussi clair que si Jacques Chirac avait, dès son entrée à l’Elysée, en 1995, fait interrompre le versement de ces commissions ce n’était pas pour s’en prendre à ces officiels pakistanais (officiellement et légalement) corrompus mais parce qu’il avait appris que ces contrats de pots de vin (légaux) prévoyaient aussi des dessous-de-table (illégaux), des rétro-commissions que les Pakistanais devaient renvoyer à des Français.
Or, il était plus que vraisemblable que ces Français en question, bénéficiaires des rétro-commissions, n’étaient autres que ceux qui avaient négocié, en 1994, les contrats, c’est-à-dire le premier ministre Edouard Balladur, le ministre du Budget, Nicolas Sarkozy et le ministre de la Défense, François Léotard.
La chose était d’autant plus vraisemblable qu’on savait, de notoriété publique, que le candidat Balladur et son porte-parole Sarkozy avaient eu des difficultés pour financer leur campagne présidentielle de 1995, Balladur n’ayant guère pu compter sur les fonds du RPR que Chirac, très légitimement, avait en grande partie gardés pour lui.
Tout semblait clair et tous les Français avaient compris que si l’affaire était brusquement ressortie ce n’était pas seulement parce que les familles des victimes réclamaient (depuis huit ans) que la justice fasse toute la lumière sur ce drame mais aussi et surtout parce que la guerre fratricide entre chiraquiens et balladuriens était rallumée par les numéro deux interposés, Villepin, directeur de cabinet d’Alain Juppé, ministre des Affaires Etrangères en 94, puis secrétaire général de l’Elysée en 1995, et Sarkozy, à la fois ministre du Budget et porte-parole de Balladur en 1994 et 1995.
Il semblait évident que Villepin avait trouvé là la plus belle des ripostes à l’affaire Clearstream avec laquelle le président de la République s’acharnait contre lui et le meilleur moyen d’abattre Sarkozy avant 2012.
Mais Villepin vient de faire, devant le magistrat chargé de l’instruction, deux mises au point qui changent un peu le scénario.
D’abord, il affirme que « l’attentat de Karachi de 2002 n’a aucun rapport avec l’arrêt, en 1995, du versement des commissions aux responsables pakistanais ». Comment le sait-il ? Il estime que le délai entre 1995 et 2002 est trop long pour qu’on puisse supposer que l’attentat soit la conséquence de l’arrêt des versements. Or, on peut parfaitement imaginer que les Pakistanais aient d’abord protesté, puis, qu’ils aient essayé de négocier, avant de se mettre à menacer et de passer à l’acte.
Pourquoi Villepin est-il si affirmatif ? Tout simplement pour que l’opinion ne rende pas Chirac (et lui-même) responsable de l’attentat en ayant « trahi » la parole de la France (vis-à-vis des pseudos intermédiaires) et ce pour des raisons de simple vengeance personnelle contre Balladur et les siens.
D’autre part, et plus surprenant encore, Villepin est désormais convaincu que « l’argent des rétro-commissions n’est pas allé dans le trésor de guerre de Balladur » mais qu’il a, sans doute, « servi à renflouer les caisses de partis politiques amis de Balladur ». On pense naturellement au Parti Républicain de François Léotard. Mais, là encore, comment Villepin le sait-il ? Et pourquoi veut-il soudain épargner Sarkozy en chargeant Léotard qui n’existe plus politiquement ?
Si l’attentat de 2002 n’avait aucun rapport avec la vente des sous-marins et si les rétro-commissions n’étaient pas allées à Balladur, l’affaire de Karachi se « dégonflerait » totalement.
Y aurait-il eu alors, ces derniers jours, une négociation entre l’Elysée et Villepin, par l’intermédiaire de Juppé, patron de Villepin au Quai d’Orsay, en 1994, premier ministre en 1995 et désormais ministre de la Défense de Sarkozy ? Certains se posent la question.

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