Ce n’est pas la première fois qu’un président de la République inquiète ses collaborateurs. En septembre 1920, on avait déjà retrouvé Paul Deschanel dans un arbre au fond du jardin de l’Elysée.
Ce soir, l’entourage de Nicolas Sarkozy s’est affolé et on le comprend. Recevant à l’Elysée des élus UMP, le chef de l’Etat leur a froidement déclaré : « Je suis ici, à l’Elysée, pour deux mandats. Pas plus. Après, ce sera… la dolce vita ».
On imagine la stupeur de tous ceux qui ont entendu çà de leurs propres oreilles, leurs regards, leur gêne, peut-être même leurs sourires. Depuis, ils se demandent si le président était « bourré », si c’était au deuxième, voire au troisième degré ou si c’était un « coup » politique pour couper l’herbe sous le pied à on ne sait qui.
Naturellement, personne ne se faisait d’illusion. Tout le monde savait depuis très longtemps, autant dire depuis toujours, que Sarkozy se représenterait en 2012. Même Fillon, même Copé, dans leurs rêves les plus fous, ne pouvaient rien imaginer d’autre.
Seul de tout le personnel politique, Dominique de Villepin aimait à répéter inlassablement que « rien ne dit que Nicolas Sarkozy sera candidat à sa réélection », laissant ainsi entendre, assez perfidement, que les scandales, comme par exemple l’affaire de Karachi, pourraient bien finir par contraindre « le président sortant » à penser à autre chose qu’à se représenter quand il se regardera dans une glace, en se rasant tous les matins.
Mais pour les autres, aussi bien dans l’actuelle majorité que dans l’opposition, personne ne mettait en doute une seule seconde la volonté de Sarkozy d’être candidat, sa conviction d’être réélu et sa volonté de réussir un second mandat mieux que le premier.
Ce qui est curieux –pour ne pas dire stupéfiant- c’est que Sarkozy ait choisi une rencontre plus ou moins informelle avec des parlementaires UMP pour « officialiser » le secret de Polichinelle. Il avait lui-même déclaré qu’il annoncerait sa décision, de se représenter ou pas, au cours de l’automne 2011 et que, pour l’instant, il avait d’autres soucis en tête.
On se perd donc en conjectures. Le président veut-il faire comprendre à Fillon et à Copé qu’ils n’ont vraiment rien à espérer pour 2012 ? Veut-il interdire à Jean-Louis Borloo et, occasionnellement, à Morin et à d’autres centristes de se lancer dans une précampagne ? A-t-il été surpris par la candidature prématurée de Ségolène Royal et veut-il lui aussi prendre tout le monde à contrepied pour partir (avec elle) en campagne ? Aucune réponse ne semble satisfaisante.
Le service de presse de l’Elysée va passer la nuit à chercher des arguties pour tenter de désamorcer la bombinette. Le pauvre Franck Louvrier nous dira sans doute, demain dès l’aube, que les parlementaires UMP n’ont rien compris et que le président n’a jamais dit çà. Claude Guéant va, peut-être, se fendre, dans l’après-midi, d’un commentaire alambiqué et venimeux contre « la presse de caniveau ».
Le plus embêtant ce sont les termes mêmes employés par Sarkozy et qui font, en effet, penser à Deschanel. Il ne s’est pas contenté d’annoncer sa candidature pour 2012, ce qui aurait déjà été une évidente maladresse politique. Il a déclaré qu’il était « là pour deux mandats ». Comment, dans une démocratie, un chef de l’Etat peut-il ainsi préjuger d’une élection, surtout quand tous les sondages le mettent à 30% d’opinions favorables, ou même moins.
Pire, il a déclaré « deux mandats, pas plus ». A-t-il déjà oublié qu’il avait lui-même fait modifier l’article 6 de la Constitution qui précise désormais « Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Voulait-il rassurer les élus UMP en leur affirmant ainsi qu’il ne ferait pas un coup d’Etat en 2017 ?
Mais c’est, bien sûr, l’envolée finale qui est la plus effrayante. « Après, ce sera la dolce vita ». Louvrier et Guéant pourront toujours nous raconter que c’était, comme les journalistes « pédophiles », une plaisanterie. Les Français ne les croiront jamais. Même à supposer que le président ait bu un verre de trop, ce cri du cœur empeste la vérité à plein nez.
L’homme qui a fêté son accession à la plus haute fonction de l’Etat avec ses amis du show-business (et du Cac40) au Fouquet’s et qui a épousé un ancien top-modèle n’a, en effet, visiblement qu’un rêve dans la vie : faire la dolce vita !
Le « casse-toi pauv’con » avait choqué la France entière. Cet « après, ce sera la dolce vita » est bien pire. Infiniment plus révélateur encore d’une profonde vulgarité.
Il est vraisemblable que, ce soir, un certain nombre de Français vont souhaiter qu’il puisse faire la dolce vita… dès 2012

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