« Novembre 2010 » ne sera pas « mai 68 »
Beaucoup de gens, aujourd’hui, semblent avoir envie d’un nouveau « mai 68 ».
Les jeunes, bien sûr, parce qu’ils veulent faire au moins aussi bien que leurs parents, voire que leurs grands-parents qui, pendant tant d’années, leur ont rabâché leurs « faits d’armes » d’antan.
Le « peuple de gauche », parce qu’il rêve de mettre Sarkozy définitivement à genoux et que personne, pas même de Gaulle, ne se relève d’une insurrection populaire.
Tous ceux qui ont des difficultés, c’est-à-dire l’écrasante majorité du pays, parce qu’ils n’en peuvent plus, qu’ils voudraient que tout explose, qu’on donne un grand coup de balai et qu’on en finisse avec toutes les injustices.
Et Sarkozy lui-même, sans doute, qui pense que quelques semaines de grèves, de pénurie, de chaos lui permettraient si ce n’est de remonter sur son cheval du moins de voir l’électorat de droite (qui l’a abandonné) se précipiter de nouveau vers lui. La droite a pris en grippe ce président bling-bling et inconsistant mais déteste encore plus la « chienlit ». Sarkozy n’avait que 13 ans en 68 mais il se souvient, peut-être, des législatives de juin 68 qui, au lendemain du « joli mois de mai », furent un raz de marée pour la droite et qu’on a appelées, à juste titre « les élections de la peur ».
Personne ne semble vouloir comprendre que si le pays était paralysé pendant deux ou trois semaines ce serait une catastrophe absolue. En 68, la France du Général était riche, puissante, il n’y avait pas de chômage, pas de déficits, pas de dette, pas de ghettos, pas de laissés-pour-compte, l’ascenseur social fonctionnait à plein régime dans le plein emploi. Les Français pouvaient donc « s’offrir » une petite révolution, pour se calmer, pour se détendre. Et pourtant, la facture des « accords de Grenelle » fut lourde à payer. Economiquement, financièrement et même psychologiquement.
Aujourd’hui, dans un pays miné par le chômage, ruiné par les déficits, déchiqueté par les communautarismes (quelle serait l’attitude de nos jeunes immigrés des quartiers de non-droit en cas de chaos absolu ?), une telle mésaventure pourrait bien nous donner le coup de grâce. Or, nous avons l’air d’y aller tout droit. Précisément à cause de tous nos malheurs.
Les « experts » nous disent qu’une vraie grève générale est aujourd’hui inimaginable, parce que certains, notamment les salariés des PME, ne peuvent plus s’offrir le luxe de faire une telle grève. C’est vrai. Mais il faut bien comprendre qu’aujourd’hui on n’a plus besoin d’une grève générale pour paralyser le pays et provoqué le chaos.
Que nos douze raffineries continuent à être à l’arrêt, que quelques centaines de chauffeurs de poids lourds se mettent, réellement, à bloquer les routes et les autoroutes et que les cheminots amplifient leurs grèves reconductibles, c’est-à-dire que quelques dizaines de milliers de salariés seulement décident de jouer l’épreuve de force, et plus personne ne peut circuler, les villes ne sont plus approvisionnées, les entreprises n’ont plus de matières premières, le pays s’arrête.
Les employés de nos raffineries, les chauffeurs routiers, les cheminots ne sont, évidemment, pas les salariés les plus à plaindre de notre société. Ils ont du travail, dans un pays qui compte plus de quatre millions de chômeurs, et leurs salaires sont généralement « convenables ». Mais ils ont une « puissance de nuisance » sans comparaison. Ils le savent. Et on a l’impression qu’ils ont bien envie d’en profiter.
Ajoutez à cela un incident grave –la mort d’un gosse au cours d’une manifestation- et tout explose.
Hier, à « C dans l’air », nous débattions de ce « rêve de 68 ». J’avais pour voisin Alain Krivine. Il était évidemment « l’expert » même s’il affirmait ne pas vouloir jouer les anciens combattants. Il était d’accord avec moi sur un certain nombre de points :
1) Il y a en France une « tradition révolutionnaire » qui fait que, depuis plus de deux siècles, à part pendant les périodes de guerre, les Français veulent, tous les trente ou quarante ans, élever des barricades dans leurs rues : 1789, 1830, 1848, 1871, la Commune, 1936, le Front populaire, mai 1968.
2) Aujourd’hui la réforme des retraites n’est plus qu’un prétexte qui sert à cristalliser tous les mécontentements contre une société de plus en plus injuste et toutes les oppositions contre un président désormais rejeté par 70% de la population.
3) L’opposition n’étant toujours pas crédible, les Français ne veulent pas attendre l’échéance de 2012 pour crier leur colère.
4) Toutes les révolutions ou pseudo-révolutions se terminent toujours par un coup de barre à droite ce qui pourrait expliquer l’intransigeance de Nicolas Sarkozy qui voit là un espoir de retrouver son électorat.
5) En avril 68, personne n’avait imaginé ce qui allait se produire et donc personne, aujourd’hui, ne peut prévoir ce qui va arriver. Le baril de poudre est là, y aura-t-il une étincelle ?
Mais pour Krivine, tout peut recommencer « comme en 68 » simplement « parce que les jeunes retrouvent leur conscience politique ». Cette analyse ne tient pas debout.
En mai 68, ce sont les jeunes (quelques milliers de petits bourgeois étudiants à Nanterre ou à la Sorbonne) qui ont lancé le mouvement (parce que les garçons souhaitaient pouvoir aller dans le bâtiment des filles à Nanterre !) et les syndicats, affolés d’être débordés, les ont rejoints pour reprendre la situation en main et en profiter pour obtenir certaines concessions.
Cette fois, ce sont les syndicats qui ont lancé la machine et les jeunes ont pris le train en marche pour ne pas rater une occasion de chahuter.
En mai 68, les jeunes étaient, sous l’influence des « gourous » de l’époque, trotskistes ou maoïstes. Ils rêvaient de faire, à Paris, la Révolution culturelle qui triomphait à Pékin. C’était grotesque mais cela leur permettait de se prendre pour de petits Gardes rouges.
Aujourd’hui, les jeunes ne rêvent plus du Grand Timonier. Ils n’ont aucune idéologie. Ils sont inquiets pour leur avenir. Ils n’ont fait que rejoindre le cortège des mécontents avec, bien sûr, l’espoir d’attiser le feu. Certains jeunes ont une vocation de pyromane.
68 fut un mouvement hautement politisé où ceux qui balançaient des pavés contre les CRS (qu’ils comparaient bien abusivement à des SS) rêvaient de créer une société nouvelle où toutes les libertés (sexuelles ou autres) pourraient s’en donner à cœur joie.
Aujourd’hui, ceux qui rêvent de « tout foutre en l’air » veulent simplement sauvegarder une société ou du moins un système –l’assistanat généralisé- qu’ils décriaient hier mais auquel ils veulent s’accrocher.
S’il y a un « novembre 2010 », il ne ressemblera pas à mai 68. Ce ne sera d’ailleurs pas une révolution. Une révolution c’est quand on veut abattre les privilèges d’une minorité qui ont rendu le système insupportable. Aujourd’hui, en France, le système est devenu insupportable parce que, tout en créant, c’est vrai, une nouvelle caste de privilégiés, il a accordé des avantages exorbitants à la très grande majorité des citoyens. Avantages que nous ne pouvons plus nous offrir.
19 Oct 2010 20:29 1. Jean Emmanuel
Ce qui a de « comique » c’est que nos députés PS y compris ce sont tous bien entendus pour retoquer ce texte:
« Par un vote du 3 septembre 2010, les députés ont rejeté à la quasi-unanimité l’amendement n°249 Rect. proposant d’aligner leur régime spécifique de retraite (dont bénéficient également les membres du gouvernement) sur le régime général des salariés. »
Les casseurs des manifestations n’ont fait que renforcer la calamité, entendez par là le renforcement des voix du FN.
La position de la rue Solférino n’est vraiment pas clair du tout, ils veulent tous la candidature de DSK alors que celui-ci s’est clairement prononcé pour la réforme des retraites.
Ce que les dirigeants oublient de dire, de façon démagogique, c’est que même si les gens peuvent partir à 60 ans ceux qui n’auront pas assez cotisé auront une petite retraite.
Par ailleurs je suis en colère contre ceux qui manifestent mais qui ne vont jamais voter. Sans parler en plus de l’absence à l’AN. Vote Hadopi il y avait 16 députés à l’AN. Bravo 16 sur 577, les absents ont toujours tort. Donc quelque part en ne mettant plus les pieds à l’AN la gauche laisse faire et voter les lois. Sur la déchéance de nationalité 445 députés absents sur 577….
Certains parents et gamins ont dit avoir reçu par SMS de la part de certains enseignants des messages les poussant à aller manifester: vive la manipulation et vive le droit de réserve….
Aujourd’hui les manifestants sont contre la droite mais en 2012 si la gauche était au pouvoir, ce serait encore les mêmes qui seraient dans la rue: enseignants, SNCF etc…En clair tous ceux qui ont des régimes spéciaux….
19 Oct 2010 20:47 2. dugas
« Aujourd’hui, en France, le système est devenu insupportable parce que, tout en créant, c’est vrai, une nouvelle caste de privilégiés, il a accordé des avantages exorbitants à la très grande majorité des citoyens. »
Moi je dirais qu’il a surtout accordé des privilèges à une minorité, qui sont les fonctionnaires et assimilés, qui vivent de l’état. Emploi garantie, salaires garantis, c’est un luxe en France en 2010.
20 Oct 2010 8:21 3. drazig
Le rejet de l’amendement prévoyant l’alignement du régime de retraite des députés et des membres du gouvernement sur le régime général est absolument odieux.
Regardez le Canada; il revient à la croissance, mais le gouvernement et les députés eux se sont serrés la ceinture: réduction du tain de vie, nombre des membres de cabinet divisé par 2, etc… Il n’y a pas de mystère et la solution ne tombe pas du ciel.
20 Oct 2010 9:08 4. Globule
Je ne sais pas si le gouvernement « parie » sur des débordements mais si c’est le cas c’est un jeu quand dangereux il me semble, même en 2010.
– Les « jeunes issus de l’immigration » pour reprendre la formule consacrée n’ont rien a perdre.
– Les 25-35 actifs n’ont rien. Une statistique que j’ai oublié qui nous a été donnée lors de votre présence à « C dans l’air » nous disait quelque chose de très inquiétant relatif à la pauvreté des moins de 35 ans (70% sous le seuil de pauvreté ???). Les témoignages depuis quelques années des 25-35 à la télévision sont catastrophiques. Les enfants des baby-boomers payent très cher la facture laissée par leurs parents au moment ou ceux-ci partent en retraite.
– Les étudiants savent effectivement que le néant les attend après leurs études (pas de travail, « stages » gratuits ou indemnisés légalement à hauteur de 300 euros par mois). De plus ils seraient facilement « entrainables » par les 25-35, leurs « grands frères ».
– Un pouvoir de nuisance assez fort des avants-postes charnières du combat syndical, a qui des démêlés avec les forces de l’ordre ne déplairaient pas forcément. Si les cheminots sont dans une position « relativement » confortable, les routiers ont un profil quand même plus proches de mercenaires. Pour peu qu’on leur donne l’occasion de jouer avec des matières inflammable.
– Sans parler des autres chômeurs de longue durée, pauvres, sans-abris, « gens du voyage » et autres laissés pour compte qui n’ont plus rien et habitués aux sacrifices physiques.
Ça fait quand même du monde, et plutôt des gens en relativement bonne santé physique ou habitués aux sacrifices. Si j’avais à organiser une « révolution », quels profils je voudrais dans mes rangs ?
Je lis que certains ne pourraient pas « s’offrir le luxe de faire une telle grève ». Il y a des gens pour qui le luxe ce n’est pas grand chose.
Un « pari » assez osé il me semble. Même une situation proche du tout « tenter le tout pour le tout ».
20 Oct 2010 10:24 5. Infraniouzes
Ce que vous exposez dans le début de votre chronique est alléchant pour certains mais, à mon avis, extrêmement dangereux: « … qu’ils voudraient que tout explose, qu’on donne un grand coup de balai et qu’on en finisse avec toutes les injustices. »
En effet, en raison de la réponse ahurissante des députés à la modification de leur fabuleux régime de retraite, le coup de balai devrait commencer par eux… C’est à dire qu’il faudrait foutre en l’air toute la classe politique et organiser des élections générales à tous les niveaux: présidentielle, législatives, régionales, cantonales, municipales, en mettant, au passage, les sénateurs au frigo. Bref « organiser » le chaos politique, hantise de De Gaulle, mais si cher à la frange révolutionnaire du pays. (Je revois la mine gourmande de Krivine à vos côtés, il buvait du petit lait).
Donc le choix est simple: une période insurrectionnelle suivie d’une dictature type Castrisme-gaulois, ou un pronunciamiento avec colonels à la grecque…
Franchement, je me contenterai des vacances de la Toussaint.