La ficelle est un peu grosse !
Une fois de plus on a l’impression que le président de la République nous prend « pour des billes », comme disent les enfants (bien élevés).
Hier, deux à trois millions de personnes, peut-être plus, manifestaient dans les rues pour protester contre le projet de réforme des retraites. C’était la quatrième démonstration de force organisée par les syndicats depuis la rentrée. Et tout le monde était obligé de constater que, de manifestation en manifestation, il y avait de plus en plus de monde. Tous les sondages confirment d’ailleurs que l’hostilité à ce projet de réforme ne fait qu’augmenter à travers le pays.
Cette mobilisation est maintenant infiniment supérieure à ce que fut celle contre le CPE de Dominique de Villepin, en 2006. Chirac avait, alors, eu la sagesse d’enterrer ce projet de loi qui avait pourtant déjà été adopté par l’Assemblée.
Il est évident que devant une telle montée des mécontentements, un pouvoir ne peut pas se contenter de répéter inlassablement : « Ce texte est indispensable et, que vous soyez contents ou pas, nous vous le ferons avaler ». Redisons-le, si la rue n’a pas à faire la loi, un chef d’Etat ne peut pas ignorer, mépriser des marées humaines qui déferlent dans les villes pour crier leur colère. A moins que, hypothèse qui n’est pas à exclure, pour des raisons électoralistes, il veuille jouer l’épreuve de force, c’est-à-dire prendre des risques totalement irresponsables.
On aurait donc pu espérer, alors qu’une cinquième journée de manifestation est prévue samedi et que les grèves reconductibles commencent à se multiplier, que Sarkozy -qui n’a jamais été avare d’interventions improvisées- aurait la bonne idée de s’adresser au pays pour tenter de calmer le jeu.
Mais pas du tout. Au lieu de regarder en face une situation de blocage qui peut conduire au pire, il préfère jouer au plus malin.
Au moment même où les foules défilaient dans les rues, il recevait des députés UMP à l’Elysée et leur annonçait, histoire de changer de sujet, qu’il allait lancer une grande réforme de la fiscalité à l’occasion de la discussion de la loi de finances rectificative de juin 2011.
Dans le genre camelot de foire, on ne fait pas mieux. « Vous ne voulez pas de mon presse-purée, je vous le donne quand même et, en plus, je vous offre un moulin à café ».
Tout le monde reconnaît qu’une totale réforme de notre fiscalité s’impose depuis très longtemps. Et Sarkozy, élu sur le thème de « la rupture », aurait évidemment dû commencer par cette réforme plutôt que de gâcher ses mois d’état de grâce avec ses galipettes, ses idées farfelues (l’union pour la Méditerranée, la suppression de la publicité à la télévision, etc.) et ses réformettes plus ou moins avortées (de la justice, du lycée, etc.).
Aujourd’hui, pour faire passer sa réforme des retraites, il se dit prêt à jeter un os à la foule : le bouclier fiscal, avec, bien sûr, en contrepartie indispensable, l’ISF.
Le bouclier fiscal (inventé par Villepin à 60% mais que Sarkozy a « amélioré » en le rabaissant à 50%) est devenu « le symbole de l’injustice », selon les propres termes du ministre du Budget, François Baroin, ce matin et surtout le symbole du sarkozisme et de la collusion du régime avec les grandes fortunes du pays.
On peut discuter du bienfondé de ce bouclier fiscal et ne pas trouver anormal que personne n’ait à payer en impôts plus de 50% de ses revenus. Mais alors qu’on demande à tous les Français, au nom de la crise, de se serrer la ceinture, il est évidemment insupportable pour l’opinion d’apprendre que l’Etat a reversé 679 millions d’€ aux 18.764 contribuables les plus riches du pays. Le mot même de « bouclier » est insupportable puisqu’on imagine alors des millionnaires et les milliardaires totalement à l’abri derrière ce bouclier pendant que les hausses des prélèvements obligatoires vont pleuvoir sur la plèbe.
On sait qu’au sein même de la majorité, 117 députés (sur un groupe de 314) viennent de signer un amendement préconisant la suppression de ce bouclier fiscal (et celle de l’ISF pour faire bonne mesure). Preuve, s’il en était besoin, que ces parlementaires qui ne pensent déjà qu’à leur réélection en 2012 ont compris, dans leurs circonscriptions, qu’il était grand temps de « faire quelque chose », quitte à abattre les idoles les plus sacrées du sarkozisme.
Mais, contrairement à ce que disait Pétain, les Français ont de la mémoire. Ils se souviennent parfaitement que le candidat Sarkozy avait juré ses grands dieux qu’il ne remettrait jamais en question l’âge de la retraite à 60 ans et que le président élu du même nom avait dit et répété sur tous les tons que le bouclier fiscal était un pilier essentiel de sa politique économique.
Aujourd’hui, il ne veut pas céder d’un pouce sur la retraite à 62 ans mais se dit prêt à capituler sur le bouclier fiscal.
Il y a bien peu de chances pour que cette « concession », ce « cadeau » puisse calmer manifestants et grévistes. Ils ne vont pas être dupes de ce nouveau tour de passe-passe du bateleur de l’Elysée. Ils ne vont pas échanger deux ans de travail en plus et une réforme qu’ils considèrent comme foncièrement injuste contre la suppression d’une mesure qu’ils considèrent, elle aussi, comme totalement scandaleuse et d’autant plus qu’elle va être accompagnée d’une suppression de l’ISF.
Et d’ailleurs il est beaucoup trop tard. Il était déjà un peu tard pour lancer la réforme des retraites. Il serait absurde (et scandaleux) de lancer une gigantesque et essentielle réforme de la fiscalité à moins d’un an des présidentielles, en pleine campagne électorale.
La ficelle est un peu grosse.
Il est surtout trop tard parce que maintenant, quelle que soit la réforme que Sarkozy voudrait entreprendre, c’est lui qui est rejeté par l’opinion. Et avec sa détestable image de grand protecteur des riches qui lui colle à la peau depuis de début de son quinquennat, il ne sera pas difficile à l’opposition et aux syndicats de démontrer que sa réforme de la fiscalité, quelle qu’elle soit, est encore en faveur des plus fortunés.
Mots-clefs : bouclier fiscal, Retraites, Sarkozy
13 Oct 2010 15:17 1. Houzi
Nous avons une bonne mémoire. Nous nous souvenons…
Après l’adoption du service minimum, SARKOZY faisait le malin devant un parterre de l’UMP et ironisait « Maitenant en FRANCE quand il y a une grève, on ne s’en aperçoit pas ». Rires gras et forcés des caciques du parti qui ne partageaient pas forcément le sens de l’humour provocateur de leur petit Maître.
Rira bien qui rira le dernier !