70% des Français approuvent « la journée de mobilisation syndicale » de mardi prochain, selon un sondage IFOP pour Ouest-France. C’est beaucoup et cela laisse supposer que le pays sera paralysé par les cortèges et par les arrêts de travail, le 7 septembre.
Mais cela prouve aussi qu’une écrasante majorité de Français a basculé dans l’anti-sarkozisme. Certes, cette journée de mobilisation a pour but officiel de s’opposer à a réforme des retraites dont la discussion va commencer ce même jour à l’Assemblée. Certes, le sondage de l’IFOP portait sur cette même réforme.
Mais il est évident que le texte présenté par Eric Woerth n’est plus qu’un prétexte pour exprimer ouvertement un gigantesque ras-le-bol. C’est moins cette réforme qui est rejetée aujourd’hui que Sarkozy lui-même.
Les Français savent parfaitement que notre système des retraites n’est plus viable. L’allongement de la durée de vie qui provoque un déséquilibre entre retraités (de plus en plus nombreux) et cotisants (de moins en moins nombreux) exige évidemment une réforme profonde qui ne peut commencer que par un allongement de la durée du travail puisqu’il ne peut être question ni d’augmenter sensiblement les cotisations ni de diminuer sérieusement le montant des retraites.
Naturellement, on peut contester certains points de la réforme présentée. Il était absurde de s’attaquer au tabou des 60 ans. Il aurait suffi d’annoncer une augmentation du nombre d’années de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Cela revenait au même, à peu de choses près, et cela aurait permis d’épargner ceux qui sont entrés dans la vie active très jeunes et qui donc, généralement, ont de petites retraites. Il était absurde de faire passer de 65 à 67 ans l’âge de la retraite pour ceux qui n’ont pas le nombre d’années de cotisation suffisant. Il s’agit, le plus souvent, de femmes ou de salariés ayant connu de longues périodes d’inactivité. Donc, encore, de défavorisés. Il était absurde de ne pas tenir compte d’un des drames des « seniors » : à 55 ans, un salarié licencié n’a aucune chance de retrouver un emploi. Jusqu’à présent, il était donc chômeur de 55 ans à 60 ans. Maintenant, il va être chômeur de 55 ans à 62 ans.
Enfin –mais il paraît que c’est la dernière cartouche du gouvernement- il faut, bien sûr, tenir compte de la « pénibilité ». Si la durée de vie a augmenté pour tout le monde, un ouvrier meurt dix ans plus tôt qu’un cadre supérieur.
Cette réforme est donc mal fagotée et surtout mal présentée.
Mais il y a deux ans, une majorité de Français (55%) n’était pas hostile à l’allongement de la durée de travail, de 60 à 62 ans. On parlait même de 63 ans. Il est donc évident que c’est l’atmosphère générale, l’ambiance du pays qui a multiplié le nombre des opposants à cette réforme, plus que la réforme en elle-même. Aujourd’hui, on a l’impression que tout texte présenté par Sarkozy serait immédiatement rejeté.
Sarkozy a fait une erreur considérable. Un texte de cette importance qui chamboule la vie quotidienne du pays ne peut passer qu’un début de mandat, dans l’euphorie de l’état de grâce. En se le réservant pour mieux préparer sa réélection et se targuer d’avoir fait quelque chose d’essentiel (que tous ses prédécesseurs avaient renoncé à faire) Sarkozy n’a pas compris qu’aux adversaires de cette réforme s’ajouteraient tout naturellement tous les mécontents du quinquennat.
Le sondage de l’IFOP est révélateur. Si 82% des employés et 79% des ouvriers approuvent les manifestations de mardi et donc refusent la réforme des retraites, les plus nombreux à dire leur mécontentement sont les jeunes de 18 à 24 ans, 87%.
Or, les jeunes ne sont pas les plus concernés par l’âge de la retraite. Quand on a 20 ans, on ne pense pas à la retraite et on sait en tous les cas que d’ici à 2050 bien des choses, à commencer par les lois, peuvent changer.
Si les 18-24 ans descendent dans la rue mardi ce sera moins pour s’opposer à la réforme des retraites que pour protester contre les expulsions des Roms, les projets de déchéance nationale des immigrés, le tour de vis sécuritaire, le scandale Woerth (on ne dit même plus Woerth-Bettencourt), tous les échecs du quinquennat et un chef de l’Etat dont l’image s’est dégradée au point de devenir insupportable.
Les syndicats qui organisent cette journée ne représentent plus grand-chose. 6% des salariés seulement sont syndiqués et ce sont le plus souvent des fonctionnaires. Mais, en faisant ainsi descendre dans les rue les Français, ils ont déjà eu la peau de Juppé à propos de la réformes des régimes spéciaux et celle de Villepin à propos du CPE.
Sarkozy ne va, bien sûr, pas démissionner devant la rue. Mais il va devoir entamer sa campagne pour 2012 en face d’une opinion mobilisée contre lui. La reconquête risque d’être difficile.

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