Le président de la République (française, précisons-le) a convoqué à l’Elysée Eric Fottorino, le directeur du Monde, pour lui faire savoir qu’il ne voulait pas que MM. Pierre Bergé, Matthieu Pigasse et Xavier Niel deviennent les nouveaux propriétaires du Monde. On sait que, pour éviter le dépôt de bilan, le quotidien du soir (et de référence) doit impérativement « se recapitaliser » dans les jours prochains et que les trois lascars en question sont parmi les candidats les plus crédibles, avec Claude Perdriel (propriétaire du Nouvel Observateur), des Italiens (propriétaires de la Repubblica) et des Espagnols (propriétaires d’El Pais).

D’après Fottorino qui s’est naturellement empressé de raconter dans Tout Paris cette stupéfiante convocation, Nicolas Sarkozy s’opposerait à l’arrivée du trio sous prétexte que Xavier Niel aurait bâti sa fortune personnelle sur le minitel rose. On ne savait pas Sarkozy si prude. Certes, Xavier Niel, actuel président de Free, est un personnage sulfureux. Il a notamment passé un mois en prison, en 2004, pour proxénétisme aggravé avant de bénéficier, en 2005, d’un non-lieu.

Mais bien sûr, personne n’est dupe. Si Sarkozy ne veut pas du trio c’est moins à cause de Niel que de deux autres, Bergé et Pigasse, qui n’ont jamais caché leur sympathie militante pour la gauche et qui vont évidement tout faire pour que le candidat du PS l’emporte aux présidentielles de 2012.
Tout cela est stupéfiant.

D’abord, que le président de la République convoque, comme un larbin, le directeur d’un grand quotidien. Ensuite, qu’il veuille se mêler de la recapitalisation d’une entreprise privée. Ensuite encore, qu’il ose menacer Fottorino de supprimer l’aide de l’Etat prévue pour la modernisation de l’imprimerie du Monde (25 millions d’€). Ensuite encore, qu’il conseille à Fottorino de choisir comme partenaire majoritaire Stéphane Richard, patron d’Orange mais surtout ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde.

Cela dit, le plus stupéfiant dans cette affaire est de voir à quel point Nicolas Sarkozy ignore tout du dossier qu’il veut traiter.
Il a peur que Le Monde « bascule à gauche » si Bergé et Pigasse s’en emparent. Il ignore donc que, depuis sa création, en 1944, par Hubert Beuve-Méry, Le Monde a toujours été un journal « de gauche » et qui s’assume comme tel. Ajoutons que Bergé et Pigasse sont d’affreux réactionnaires de droite si on les compare à ce que furent, en leur temps, Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel, le couple socialo-trotskiste qui conduisit le quotidien à sa perte.

Deuxième erreur de Sarkozy : il s’imagine que la presse écrite joue encore le moindre rôle dans des élections. Rappelons-lui que Le Monde a soutenu ouvertement Balladur en 1995, Jospin en 2002, Ségolène Royal en 2007 et le « oui » au référendum sur la Constitution européenne…
Troisième erreur : il croit pouvoir faire pression sur Fottorino. Or, sans avoir, bien sûr, assisté à l’entretien, on peut imaginer le sourire délectable de Fottorino devant un Sarkozy sûr de lui et menaçant.

Sarkozy l’ignorait sans doute mais Fottorino n’a aucun pouvoir pour choisir les nouveaux actionnaires majoritaires du Monde. Ce sont les sociétés des rédacteurs et du personnel du Monde, et elles seules, qui désigneront le ou les nouveaux actionnaires majoritaires. Fottorino se contentera de présenter les différents candidats. Et il lui suffira de laisser entendre (ce qu’il fait depuis trois jours) que Sarkozy ne veut pas de Bergé, Pigasse et Niel pour que les journalistes et le personnel trouvent soudain aux trois personnages des qualités qu’ils n’avaient pas soupçonnées jusqu’à présent.

Sarkozy ressemble chaque jour davantage à Berlusconi. Il en avait déjà le mauvais goût, le sens de la provocation, le penchant pour le populisme, la vie mouvementée et le goût effréné du pouvoir absolu. Voilà qu’il veut, comme lui, tenir d’une main de fer la presse.

Mais « il cavaliere » est autrement plus malin. Ce n’est pas lui qui aurait été assez bête pour convoquer le directeur d’un journal d’opposition, lui donner des ordres, le menacer et donc faire rire toute la capitale par cette énième maladresse, très révélatrice.

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