Claude Guéant est tombé sur la tête!
« Le Monde Magazine » n’est pas toujours passionnant. Mais celui de cette semaine est à ne pas manquer. Il nous révèle, en effet, sur plusieurs pages, que Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, « LE » gourou de Sarkozy, l’homme qui fait et défait les gouvernements et qui suggère au président de la République la plupart de ses idées, celui que certains appellent même « le Raspoutine du petit Nicolas III » est tombé sur la tête.
Il a perdu toute mesure, toute décence, tout sens du ridicule et semble se prendre désormais pour un roi nègre, à mi chemin entre un Bokassa se faisant couronner et un Idi Amin Dada se faisant porter sur les épaules des colons. Il faut voir ! On a honte pour lui, pour Sarkozy, pour le régime, presque pour la France.
D’abord, la couverture. Immense photo, genre studio Harcourt. La main sur la tempe tente de maintenir une tête trop lourde de tous les secrets de l’Etat. Il voudrait avoir un petit coté Chateaubriand mais le reflet bien travaillé dans les cheveux de jais lui donne plutôt l’air d’un vieux danseur de tango qui aurait mis des lunettes pour inspirer confiance. Le regard est fourbe.
Le pire, bien sûr, c’est à l’intérieur du magazine. Cette fois, la photo s’étale sur deux pleines pages. Là, il est impérial, grotesque. Devant une tapisserie qui pourrait être des Gobelins ou d’Aubusson, il est debout, bien raide, les deux mains appuyées sur un bureau qu’on imagine Louis XV. Avec un regard, hélas, cette fois totalement vide d’expression mais une lippe méprisante, il défie l’univers. C’est Pierre Larquet dans le rôle de Louis XIV ! Le « petit chose » qui se prend pour de Gaulle.
Comment Claude Guéant s’est-il laissé ainsi piéger par « Le Monde »? Comment n’a-t-il pas compris que ces photos et cet article, intitulé en page une « le vice-président » et en pages intérieures « le cardinal du président » allaient lui coller à la peau et, plus grave, faire passer Sarkozy pour une marionnette entre les mains d’un dingue ?
Aucun de ses prédécesseurs au secrétariat général de l’Elysée n’aurait eu une telle impudeur ni commis pareille maladresse. Ni Balladur (sous Pompidou), ni Claude Pierre-Brossolette (sous Giscard), ni Jean-Louis Bianco (sous Mitterrand) ni même Villepin (sous Chirac). Quand aux « gourous » qui se sont succédé auprès de nos présidents tous –à l’exception, notable il est vrai, d’Attali- ont toujours compris qu’il leur fallait rester dans l’ombre s’ils voulaient jouer les Père Joseph.
Cette stupide offensive médiatique est, évidemment, un pied de nez fait à tous les autres. D’abord, à Fillon qui n’aurait sans doute jamais affiché une telle arrogance et qui, après avoir été traité de simple « collaborateur » par Sarkozy lui-même, disparaît encore un peu plus derrière « le vice-président » autoproclamé et le nouveau « Richelieu » impérial. Mais il est vrai que le premier ministre commence vraiment à être trop populaire. Il fallait donc le rabaisser encore et rappeler au public que, contrairement à la Constitution, ce n’était pas lui le numéro 2 du pouvoir mais bien Guéant.
Même chose pour tous les ministres. Les remettre à leurs places de simples figurants. On nous explique complaisamment tout au long de l’article, visiblement dicté par Guéant lui-même, que c’est « le vice-président » qui dirige la diplomatie française en Afrique, au Proche-Orient et ailleurs, lui qui mène toutes les négociations sur tous les grands contrats internationaux, lui qui décide du sort des grands patrons français, qui supervise le Grand Paris, qui tance les ministres, qui règle les cas litigieux au sein de l’UMP et, mieux encore, qui remplace en permanence le président lequel semble ne plus pouvoir lever le petit doigt sans lui demander au préalable l’autorisation. « Si tu as un problème, va voir Claude. Ce sera comme si tu me voyais » fait-on dire, dans l’article, à Sarkozy
Mis à part le coté grotesque du personnage qui gonfle le torse pour prendre la pause en se faisant photographier, tout cela est très inquiétant.
D’abord, parce qu’il est inadmissible, dans une République, qu’un homme n’ayant aucune légitimité ait une telle importance. La Constitution est formelle : « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il est responsable devant le Parlement », (article 20). « Le premier ministre dirige l’action du gouvernement » (article 21). Jamais il n’est fait allusion au secrétaire général de la Présidence qui, bien sûr, n’est pas responsable devant le Parlement.
Ensuite, parce qu’on comprend soudain que le chef de l’Etat qu’on imaginait sachant ce qu’il voulait et autoritaire est, en, fait, à bien des égards, « sous influence » et qu’il obéit aux injonctions d’un simple préfet ambitieux, arriviste (et arrivé) mais qui n’a aucun sens politique, aucune connaissance de l’opinion.
Enfin, parce qu’il faut bien constater, après trois ans de règne, que « Richelieu », si tant est que c’est bien lui qui dirige tout, a accumulé les erreurs et les échecs.
Il se vante de cornaquer notre diplomatie. Mais, de la visite à Paris de Kadhafi à la conférence de Copenhague, en passant par les embrassades avec le fils Bongo, la déliquescence de l’Europe, l’Union pour la Méditerranée et l’effacement de la France sur la scène internationale, au Proche-Orient et ailleurs, notre politique étrangère est catastrophique. Il se vante de mener toutes les discussions sur les grands contrats. Mais, malgré tous les communiqués de victoire de l’Elysée, nous ne vendons plus rien, nulle part, ni centrales nucléaires, ni TGV, ni Rafale. Il se vante d’avoir mis l’UMP en ordre de bataille à la veille des régionales. La bataille a été perdue. Et l’on pourrait poursuivre l’inventaire…
Les amis de Guéant (mais en a-t-il vraiment ?) vont peut-être essayer de nous faire croire qu’en s’attribuant ainsi, sans pudeur, tous les pouvoirs, le secrétaire général de l’Elysée se sacrifie pour tenter de dédouaner Sarkozy de tous les échecs de ces trois premières années. Comme s’il s’écriait : « Ce n’est pas lui le fautif, c’est moi, puisque c’est moi qui fais tout ». Mais, dans son délire égocentrique, Guéant ne pratique que l’autosatisfaction. Pas l’autocritique.
Tout çà -cette ambiance de cour, de cabinet noir, de coups fourrés- est profondément malsain.
Tiens, au fait, qu’est donc devenu Henri Guaino, l’autre « gourou » ? Il a disparu. Lui au moins, même s’il était farfelu, il avait un certain style.