Carla, Rachida et la cour du roi Pétaud
Mais dans quelle pétaudière vivons-nous et jusqu’où le couple Sarkozy-Bruni va-t-il ridiculiser l’Elysée, c’est-à-dire l’Etat ?
Imagine-t-on, une seule seconde, Mme de Gaulle allant déclarer à Europe n°1 que, contrairement à certaines rumeurs, elle n’est pas partie en Inde s’envoyer en l’air avec Charles Trenet, que d’ailleurs le Général n’a pas la moindre aventure avec Mme Nafissa Sid-Cara, une secrétaire d’Etat (dans le gouvernement de Michel Debré), et que René Pleven, l’ancien garde des Seaux, n’a sûrement pas propagé de telles rumeurs ?
Eh bien c’est, à peu de chose près, ce à quoi nous avons eu droit, hier.
La vie « politique » de ce pays commence vraiment à rassembler à une piètre pantalonnade pour clowns tristes, guignols faisandés et stripteaseuses sur le retour. O tempora, ô mores ! Comme disait si bien Cicéron.
Alors que la dette de la France a dépassé les 1.500 milliards d’€, qu’il y a plus de 10% de chômeurs, que 7 millions de nos compatriotes tentent de survivre sous la ligne de pauvreté et que la majorité présidentielle vient de recevoir une raclée mémorable, Carla Bruni-Sarkozy, femme du président de la République, tient la vedette à propos d’histoires de cul et de cornecul.
Elle a souhaité nous faire savoir que « la rumeur » affirmant qu’elle était la maîtresse de Benjamin Biolay, un jeune chanteur à succès, alors que Nicolas Sarkozy filait le parfait amour avec Chantal Jouanno, la secrétaire d’Etat à l’Ecologie, était totalement fausse. Tout comme l’était aussi « l’autre rumeur » qui prétendait que Rachida Dati, l’ancienne garde des Seaux, était à l’origine de la première rumeur (ce qu’avait laissé entendre l’entourage même du président).
Tout cela est faux, archi-faux, nous a-t-elle juré, ajoutant que son mari et elle n’attachaient aucune importance à ce genre de ragots et que son mari n’avait, bien sûr, pas ordonné la moindre enquête de nos services secrets sur ces balivernes et leur origine.
Deux mensonges sur quatre affirmations. Visiblement, ni elle ni son mari ne se moquent de ces rumeurs (la preuve, elle a tenu à les démentir) et une enquête a bel et bien été ordonnée par l’Elysée pour trouver les « coupables », comme le patron des services secrets l’a lui-même confirmé.
Mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui est sidérant c’est que la femme du président de la République ait voulu faire cette « mise au point ». Comment Carla Bruni ne s’est-elle pas rendu compte de ce qu’elle faisait ? Ignore-t-elle à ce point qu’elle n’est plus un top-modèle au cœur du show-business et qu’elle est désormais « la première dame de France » ? Comment n’a-t-elle pas compris qu’en sortant ainsi de la réserve de bon aloi qu’impose son nouveau statut, en tentant d’éteindre l’affaire, elle lui donnait une importance considérable, elle la ravivait ?
Il est vrai que, comme dans les pires coulisses du pire des bastringues, çà commençait à faire du tintamarre.
Pierre Charon, un (très) proche collaborateur du chef de l’Etat, avait laissé entendre que c’était Rachida Dati qui était à l’origine des rumeurs ; Claude Guéant, le secrétaire général de l’Elysée, avait révélé que le président de la République ne voulait plus voir l’ancienne garde des Seaux ; Brice Hortefeux, le ministre de l’Intérieur, avait annoncé que, sur ordre, il venait de supprimer la voiture de fonction –disons plutôt « de complaisance »- et les gardes du corps à l’ancienne garde des Seaux ; et Rachida Dati, elle-même, nous avait juré, sur l’honneur, qu’elle n’était « pas à l’origine de la rumeur » en question et qu’elle était victime d’une calomnie lancée par l’entourage de Sarkozy à l’Elysée. C’était, effectivement, la cour du roi Pétaud !
Tous ces gens auraient, évidemment, dû rester silencieux et ne pas nous offrir cette séance publique de lynchage de l’ancienne garde des Seaux. On nous dit que les amis de Nicolas Sarkozy que Cécilia avait écartés et que Carla a fait revenir en cour ont encore des comptes à régler et que Rachida était la meilleure amie de Cécilia… Rififi à Paname chez ces petits messieurs !
Cette affaire, car c’en est bien devenue une, et presque une « affaire d’Etat », souligne trois problèmes : l’image du couple présidentiel, le rôle de l’Internet, le secret de la vie privée des personnages publics.
L’image du couple Sarkozy. Ces rumeurs étaient, sans guère de doute puisqu’on nous l’affirme, absurdes mais elles étaient … plausibles. C’est çà qui est le plus ennuyeux. La vie sentimentale du président a été agitée, le passé amoureux de Carla Bruni pour le moins mouvementé. Et leur rencontre qu’on nous a complaisamment racontée ne leur garantit guère la stabilité des couples les plus traditionnels.
Les Français qui avaient été un peu choqués par la vie de patachon de Nicolas Sarkozy et par les amours successives et innombrables de celle qu’il avait rencontrée au cours d’un dîner chez un publicitaire célèbre ne pouvaient donc pas s’étonner devant d’éventuelles nouvelles frasques et étaient même prêts à croire toutes les turpitudes.
Le président et son épouse paient là l’image déplorable qu’ils ont voulu nous donner. Plus rien ne peut surprendre les Français à propos de leur couple. Souvenons-nous, quand des rumeurs avaient circulé à propos du couple Pompidou, personne n’en avait rien cru. On savait que Georges et Claude Pompidou formaient, eux, un couple parfait.
Le rôle de l’Internet. Toute l’affaire a démarré sur l’Internet et l’Elysée a donc rouvert le procès des mails, des blogs, des twitters et autres nouveaux systèmes de transmission. Ce procès est absurde et, en tous les cas, inutile. Certes, n’importe qui peut désormais raconter n’importe quoi sur l’Internet et ce n’importe quoi fait le tour du monde en l’espace d’un clic. Toute la presse mondiale a fait sa « une » avec la nouvelle des infidélités du couple Sarkozy. Jadis, seul le Tout-Paris pouvait se régaler d’une histoire giscardienne de laitier, place de l’Alma, au petit matin, ou d’aventures mitterrandiennes extraconjugales. Le progrès a démocratisé les rumeurs et donc du même coup la calomnie. Il faut que tout le monde s’y habitue.
Reste l’éternel problème du « respect de la vie privée des personnages publics ».
Il faudra bien, un jour, reconnaître une évidence : les personnages publics n’ont pas droit à une vie privée.
Personne n’est obligé de devenir un personnage public et ces personnages publics tirent beaucoup d’avantages de leur notoriété. S’ils perdent le droit à une vie privée c’est ce qu’on pourrait appeler « la rançon de la gloire ».
Pourquoi les hommes politiques n’ont-ils pas le droit à une vie privée ? Tout simplement parce qu’il est parfaitement normal –et même indispensable- que les citoyens sachent tout sur ceux qui les gouvernent ou aspirent à les gouverner.
Les deux domaines les plus privés de la vie d’un homme (ou d’une femme) sont, bien sûr, sa santé et ses amours. Pour le citoyen lambda cela relève évidemment du secret médical et, éventuellement, de celui du confessionnal. Mais pas pour l’homme public.
Les citoyens ont le droit de tout savoir sur la santé d’un dirigeant. En clair, savoir s’il est encore et toujours apte, physiquement ou intellectuellement, à assumer ses fonctions.
Au cours de ce dernier demi-siècle, la France a eu deux chefs d’Etat gravement malades pendant toute la durée de leurs mandats : Georges Pompidou et François Mitterrand. Leur courage face à la maladie et la mort n’est, bien sûr, pas en cause. Le problème est de savoir si un homme sous traitement lourd et souffrant, par moment, le martyre est capable de remplir les plus hautes fonctions de l’Etat, de prendre à tout instant des décisions importantes et même de détenir le pouvoir atomique.
Pompidou a appris sa maladie peu après son entrée à l’Elysée. Mitterrand la connaissait avant même d’être élu. Pendant des mois, on a raconté aux Français que Pompidou souffrait d’une « mauvaise grippe ». Ils l’ont cru alors qu’il aurait suffi de l’observer pour s’apercevoir qu’il était évidemment sous cortisone. Ce n’est qu’à l’ultime fin de son second mandat que Mitterrand a révélé son cancer. Il n’avait pas hésité à se représenter en 1988.
La souffrance, la maladie ont-elles été responsables d’erreurs commises par ces deux grands malades ? On ne le saura, bien sûr, jamais. Mais il n’est pas admissible que les Français n’aient pas été mis au courant, au nom du « secret de la vie privée ».
Pour les affaires dites « sentimentales », c’est la même chose. Un président, un ministre, un parlementaire qui a une liaison, qui tombe éperdument amoureux peut être conduit à prendre des décisions contraires à l’intérêt du pays. On a vu un ministre des Affaires étrangères lever un embargo sur une livraison d’armes par amour. Un président faire livrer des armes à des rebelles que combattait l’armée française pour récupérer une maîtresse détenue en otage. Là encore, le secret de la vie privée n’est pas tolérable.
Certes, si on peut exiger la publication régulière de bulletins de santé honnêtes (une règle oubliée et qui n’a jamais été appliquée réellement) il est plus difficile de demander à l’Elysée et aux différents ministères un compte rendu détaillé des amours et des aventures de nos responsables. Mais il est alors du devoir de la presse d’informer l’opinion afin de mettre un terme à des situations qui peuvent avoir de graves conséquences pour le pays.
Autant il faut condamner les fausses rumeurs, les ragots et les calomnies qu’Internet va rendre de plus en plus nombreux, autant il faut admettre qu’il n’y a pas de vie privée pour ceux qui ont voulu devenir des personnages publics et Nicolas Sarkozy qui nous a gavés avec ses malheurs et plus encore ses succès sentimentaux est le plus mal placé pour réclamer le respect de sa vie privée.
Cela dit, plus personne ne croit en la rumeur sur le couple présidentiel mais certains se demandent encore si Rachida Dati n’y serait pas, tout de même, pour un petit quelque chose.
Mots-clefs : Carla Bruni, Charon, Guéant, Hortefeux, Rachida Dati, Rumeurs, Vie privée