Rugby, grand chelem et identité nationale
Quel dommage que Nicolas Sarkozy et l’ineffable Eric Besson ne soient pas des adeptes du rugby ! Cela leur aurait sans doute permis, ce week-end, de comprendre enfin quelque chose à l’identité nationale.
Ils auraient pu voir, samedi soir, les trois quarts du Stade de France (le dernier quart étant occupé par les Anglais) vibrer, hurler, applaudir en chœur (on pourrait presque écrire « en cœur »), toutes couleurs confondues, Blacks, Blancs, Beurs, Jaunes, Cuivrés, Olivâtres, etc. chaque fois que les Bleus prenaient l’avantage.
Ils auraient pu apprendre qu’à travers toute la France, plus de 8 millions et demi de téléspectateurs français (qui n’étaient sûrement pas tous blancs bleus) avaient, pendant ces mêmes deux heures, espéré, rêvé, tremblé, frémi, redouté le pire puis explosé de joie, à l’unisson, en suivant ce match. Sans parler de ceux qui ont suivi le match à la radio.
Au total, près de 10 millions de Français, évidemment de toutes les races et de toutes les couleurs, se sont sentis, l’espace d’une soirée, plus français que jamais, grâce au ballon ovale.
Ce week-end, le « grand chelem » qu’attendaient les Français n’était pas celui dont rêvait Martine Aubry mais bien celui que devait gagner l’équipe de France de rugby.
Et il suffisait de regarder les tribunes du stade de France pour s’apercevoir que, mis à part les gens du Sud-Ouest, les plus farouches supporters de l’équipe de France étaient des Arabes et des Noirs, de la première, de la deuxième ou de la troisième génération, et des immigrés, ou des fils d’immigrés, ou des petits-fils d’immigrés, venus d’un peu partout, des quatre coins de la planète. Il fallait les voir, les Blacks, hurler « Allez, les Bleus » ! Blacks, Blancs, Beurs et… Bleus, tous ensemble.
Tous les fameux critères de l’identité nationale avaient, soudain et enfin, disparu. Tous n’étaient pas nés en France, de parents français, tous n’étaient pas de culture française, tous ne maniaient pas parfaitement notre langue et pourtant tous se levaient comme un seul homme quand un Bleu perçait la ligne de défense anglaise. Et tous entonnèrent d’une même voix « La Marseillaise » à l’issue du match.
Cà veut dire quoi ? Ca veut dire tout simplement qu’être français c’est espérer la victoire de la France et avoir des larmes de joie quand la France gagne. Tout le reste n’est que balivernes et paperasseries. Si Renan avait connu le rugby, il se serait sûrement réjoui de ce France-Angleterre. Personne n’a sifflé les Anglais, les Français se contentant d’applaudir les Bleus, preuve qu’on peut aimer son pays sans haïr les autres.
Une parenthèse : pour ces matchs des Six Nations, les Britanniques ont une équipe d’Angleterre, une équipe du Pays de Galles, une équipe d’Ecosse et une équipe d’Irlande. Nous n’avons, nous, qu’une équipe de France. C’était intéressant à rappeler à la veille de ce deuxième tour des régionales. Les joueurs de rugby sont plus proches du « terrain » que nos hommes politiques et nos technocrates. Ils savent que la France est « une et indivisible » et que les Français se « contrefoutent » de leurs régions.
Depuis quelques années, on a l’impression qu’il nous faut des victoires sportives pour que notre communauté nationale retrouve sa cohésion. La dernière fois, c’était pour la Coupe de football, en 1998. Les Champs Elysées avaient été « Blacks, Blancs, Beurs » pendant une bonne partie de la nuit et le champagne et la joie avaient coulé à flots. C’était il y a douze ans. Depuis, plus rien.
On s’est contenté de parler des dangers de l’Islam, des minarets, de la burqa, de la funeste « discrimination positive », des quotas, de l’identité nationale avec ministère et questionnaire. Autant de prétextes pour faire peur aux uns, stigmatiser les autres, les enfermer dans leurs ghettos et préparer des affrontements.
Avec notre principe absurde du « droit à la différence » (qui conduit inévitablement à la différence du droit et à l’abominable communautarisme), nous avons brisé tout espoir d’« assimilation » (encore un mot banni par la pensée unique) de nos immigrés au sein de notre communauté.
Désormais, au nom du respect des communautés, nous faisons de nos immigrés des « Français à part » et non plus des « Français à part entière ». Il faut un match de football ou de rugby pour que ces barrières que nous avons nous-mêmes édifiées, par idéologie, disparaissent le temps d’une soirée.
La leçon de tout cela ? Elle est simple : il suffit que la France gagne pour que les Français retrouvent aussitôt la fierté d’être Français et une sorte de fraternité, bien au delà de leur couleur de peau, de leurs origines, de leurs croyances.
Le problème est que, depuis des années, nos équipes politiques, de droite comme de gauche, ne gagnent plus jamais le moindre match.
Mots-clefs : Besson, Identité Nationale, Immigration, Sarkozy