Le préfet, la loi et le « bon plaisir » du président
L’affaire Najlae Lhimer devenue l’affaire Fragneau est très révélatrice à la fois de la conception que Nicolas Sarkozy se fait de sa fonction et de l’ambiance qui règne désormais dans notre administration.
Le 20 février dernier, une jeune marocaine de 19 ans, Najlae Lhimer, se présente à la gendarmerie de Château-Renard (Loiret) pour porter plainte contre son frère qui l’a rouée de coups. La gendarmerie s’aperçoit alors que la jeune femme est une immigrée clandestine qui a fait l’objet, le 24 novembre, d’un avis de reconduite à la frontière. N’étant pas étudiante, n’ayant aucun travail déclaré, n’ayant aucun membre de sa famille en France (mis à part le frère en question), elle n’avait aucun titre pour bénéficier d’une autorisation de séjour. La jeune femme est donc placée en garde à vue à la gendarmerie de Château-Renard, puis rapidement expulsée vers le Maroc, malgré la mobilisation de quelques associations locales.
Le 8 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la femme mais surtout à six jours du premier tour des élections régionales, Sarkozy annonce qu’il autorise la jeune marocaine à revenir en France. Elle revient aussitôt.
Le 20 mars, le préfet de la région Centre, Bernard Fragneau, adresse une lettre officielle à Brice Hortefeux pour lui demander d’être relevé de ses fonctions qu’il estime ne plus pouvoir exercer.
En clair, le préfet a fait appliquer la loi, le président de la République l’a publiquement désavoué et le préfet ne l’a pas supporté.
Certes, il y a quelque de chose d’un peu gênant à ce qu’une gamine allant se mettre sous la protection de la gendarmerie se retrouve en garde à vue puis expulsée. Les immigrés clandestins ont le droit aux soins dans nos hôpitaux et peuvent envoyer leurs enfants dans nos écoles publiques. Mais il aurait été pour le moins paradoxal que la gendarmerie se mette à protéger une clandestine qui aurait déjà dû avoir quitté le territoire depuis trois mois. Inconsciente, elle s’est jetée dans la gueule du loup. On peut d’ailleurs s’étonner qu’elle n’ait pas été expulsée plus tôt, dès son avis de reconduite à la frontière, alors que tout le monde savait parfaitement où elle résidait.
Il faut savoir ce qu’on veut. Veut-on, oui ou non, lutter contre l’immigration clandestine ? Si oui, il faut expulser les clandestins même si chaque cas individuel devient, évidemment, un cas humain, forcément douloureux et difficile à traiter. La loi est dure mais c’est la loi. Le préfet n’a fait que l’appliquer.
Le chef de l’Etat avait-il à intervenir ?
On sait que selon l’article 17 de la Constitution, « le président de la République a le droit de faire grâce à titre individuel ». Vieux souvenir de l’époque de nos rois que Sarkozy, lui-même, avait contesté lors de sa campagne. L’article 17 de la Constitution de 1958 déclarait : « Le président de la République a le droit de faire grâce ». On a ajouté « à titre individuel ».
Mais cet article n’a même pas été évoqué dans l’affaire en question. Il n’aurait d’ailleurs sans doute pas pu s’appliquer. Sarkozy a simplement décidé, selon son seul « bon plaisir », de faire un petit coup médiatique, électoraliste, à destination des féministes et des défenseurs des immigrés clandestins, à quelques jours d’un scrutin qui s’annonçait difficile. Cà s’appelle de la démagogie.
Pour les fonctionnaires de terrain –et notamment, bien sûr, pour le préfet de la région Centre, préfet du Loiret- la chose était intolérable. Depuis l’élection de Sarkozy à la présidence, on ne demande plus seulement à nos préfets de faire appliquer la loi, on leur demande de « faire du chiffre », d’avoir « des résultats ». Sarkozy veut pouvoir publier des communiqués de victoire notamment dans ses domaines de prédilection, la sécurité et la lutte contre les clandestins. Les préfets qui n’ont pas assez d’immigrés clandestins expulsés sont convoqués au ministère de l’Intérieur.
Cette politique du chiffre scandalise, évidemment, tous les fonctionnaires et « pourrit » le travail de l’administration qui doit désormais, chaque mois, avoir son lot de délinquants arrêtés, de dealers sous les verrous, de clandestins expulsés.
Mais quand, en plus, le souverain décide brutalement de contredire son préfet qui n’a fait qu’appliquer la loi, cela devient insupportable.
Sarkozy n’a toujours pas compris qu’il n’avait ni tous les pouvoirs ni tous les droits, qu’il ne pouvait pas décidé n’importe quoi, sur un coup de tête, pour faire la « une » de la presse et l’ouverture du journal télévisé. Combien de décisions plus ou moins importantes ont-elles été prises, depuis trois ans, par l’Elysée, sans aucune consultation, sans aucune réflexion et simplement pour le « bon plaisir » du prince ?
L’affaire Fragneau est, certes, anecdotique et sera vite oubliée mais elle révèle le malaise actuel de l’administration en face d’un pouvoir « monocratique ».
Malaise que ressent aussi l’opinion. « Je suis mal à l’aise », a dit Villepin en annonçant la prochaine création de son parti politique.
L’article 5 de la Constitution affirme : « Le président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ». Nulle part, il n’est précisé qu’il peut faire n’importe quoi.
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